Banques : De l’évasion fiscale au crime organisé
Les scandales financiers actuels révèlent le rôle des banques dans le blanchiment d’argent sale ou le financement du terrorisme.
dans l’hebdo N° 1342 Acheter ce numéro
Le scandale autour de la banque britannique HSBC ne porte pas que sur l’ampleur de la fraude fiscale pratiquée par de simples notables. Il révèle aussi un vaste réseau de blanchiment d’argent lié à la drogue et au financement du terrorisme, qui a déclenché une enquête pénale en Suisse pour blanchiment aggravé. Une première ? Déjà, en 2012, les responsables de cet établissement ont eu à répondre d’accusations similaires devant une commission du Sénat américain. Ainsi, l’argent de trafiquants d’armes, de personnes liées au crime organisé, d’entreprises et de grands patrons, d’hommes politiques, de monarques, de sportifs de haut niveau ou encore de personnalités du show-business transite par un nombre incalculable de filiales de grandes banques pour atterrir dans des paradis fiscaux. Ces territoires, nombreux, permettent de contourner les règles, les lois et les réglementations des autres pays. Cinq grandes banques françaises, BNP-Paribas, la Société générale, le Crédit agricole, BPCE et le Crédit mutuel-CIC apportent leur contribution à ces circuits opaques empruntés par la criminalité financière. Ainsi, la banque Pasche, une des filiales du Crédit mutuel-CIC, fait l’objet d’une enquête judiciaire pour « dépôts d’espèces fréquents sans le moindre justificatif allant de 10 000 à 400 000 euros vers des sociétés offshore », a révélé Mediapart en juin 2014.
L’affaire de la « lessiveuse africaine », concernant BNP Paribas Wealth Management, située à Monaco, éclate quant à elle en 2013. La filiale de la prestigieuse banque française est mise en cause pour un circuit suspect de chèques en provenance d’une vingtaine de pays africains, notamment de Madagascar, du Gabon et du Sénégal. Elle a fait l’objet d’une information judiciaire pour « blanchiment et complicité de blanchiment » : de simples « dysfonctionnements », selon BNP Paribas. De telles informations « sont rendues publiques de façon accidentelle », souligne Jean Merckaert, administrateur de l’association Sherpa, qui lutte contre les crimes économiques et avait porté plainte contre la filiale de BNP Paribas. Ces affaires sortent rarement au grand jour, alors que la justice a affaire à une vaste industrie criminelle qui s’abrite derrière le secret bancaire. Proposer des montages offshore n’est pas prohibé et l’optimisation fiscale est massivement pratiquée. Fraude, pas fraude ? Le flou est entretenu et les banques françaises s’en donnent à cœur joie. Cent soixante-dix filiales de BNP Paribas sont installées dans des paradis fiscaux. La Société générale en détient 139, le Crédit agricole 133, la BPCE 91, le Crédit mutuel 44, selon un rapport de la plateforme « Paradis fiscaux et judiciaires », publié en novembre 2014.
Le Luxembourg est la destination la plus prisée des filiales des banques françaises. Le Grand-Duché concentre près du quart de leurs activités dans les paradis fiscaux. La Suisse, les Pays-Bas, l’Irlande, la Belgique, le Portugal, les Bermudes et les îles Caïmans sont aussi très appréciés. « Les entreprises en font une utilisation agressive, rapporte Mathilde Dupré, chargée de plaidoyer Financement du développement au CCFD-Terre Solidaire. Elles en viennent à modifier artificiellement la façon dont elles rendent compte de leurs manipulations : un usage abusif pour pouvoir alléger au maximum leur fiscalité. » La criminalité organise aussi ses propres outils d’évasion et de fraude fiscale, des montages d’une extrême complexité. En 2007, une étude publiée par la Banque mondiale relevait que « les trafiquants de drogue, les terroristes et les autres criminels ont recours exactement aux mêmes dispositifs et subterfuges (banques fictives, trusts, sociétés écran) que les entreprises », rappelle le journaliste financier Nicholas Shaxson [^2]. Les choses n’ont guère changé depuis. Dans un rapport publié en 2014, le Fonds monétaire international constate que « les terroristes exploitent souvent les mêmes failles [que celles] qui permettent d’exécuter des transactions financières dans un anonymat et une absence de transparence inappropriés ». L’incroyable ne réside pas dans l’information sur ces pratiques, connues depuis des décennies, mais dans le fait que les États laissent faire les banques.
[^2]: Les Paradis fiscaux. Enquête sur les ravages de la finance néolibérale , Nicholas Shaxson, André Versaille éditeur, 2012.