Carlton de Lille : Un traitement putassier
Le procès du Carlton est l’occasion d’une nouvelle spectacularisation de l’info. On privilégie le soufre et le folklore tout en banalisant la prostitution.
dans l’hebdo N° 1340 Acheter ce numéro
Pas moins de trois cents accréditations et quatre écrans géants pour retransmettre les débats. Le procès du Carlton, à Lille, s’est ouvert en fanfare lundi 2 février. En même temps que le guide Michelin annonçait sa nouvelle édition, sans que l’on sache, dans l’emballement de l’actu, si l’établissement lillois avait perdu ou gagné une étoile ! Au reste, nouvellement référencé, il est coté en 4 étoiles. Procès retentissant s’il en est. Et pour cause : il convoque un ex-président du FMI déchu, amateur de parties fines, peut-être principal bénéficiaire des rencontres tarifées. À côté de lui, un proxénète truculent, Dominique Alderweireld, dit Dodo la Saumure, et quelques notables, tous poursuivis pour proxénétisme aggravé. Des figures, un hôtel de luxe défraîchi, des femmes et du sexe, beaucoup de sexe. On y trouve même des écoutes téléphoniques, les rumeurs d’un scandale politique.
Les chaînes d’info en continu ont là tous les ingrédients pour s’agripper à une actualité judiciaire qui va durer trois semaines. Le Monde et le Figaro en ont même fait un bandeau sur leur site Internet. Bernard Lemaire, président du tribunal correctionnel de Lille, a beau prévenir que « le tribunal n’est pas le gardien de l’ordre moral », il a beau entendre « juger de la manière la plus ordinaire », les médias ont choisi une fois de plus leur terrain, celui de la spectacularisation. Il fallait être un brin naïf pour espérer le contraire. Pendant la période des attentats de janvier, comme le soulignait le journaliste d’Arte William Irigoyen dans nos colonnes (voir Politis n° 1339), c’était « à celui qui aurait pu coller une caméra sur le casque d’un homme du Raid » ; cette fois, c’est à celui qui décrochera la timbale avec une interview exclusive de l’un des protagonistes ou d’une prostituée, force détails à l’appui, façon « Journal du hard ». Une ambition évidente à l’ouverture du procès, quand on observe la cohue autour de DSK, de Dodo la Saumure ou de René Kojfer, entremetteur présumé, dont l’avocat estime qu’il est « le saint-bernard des métiers du sexe ». Faute d’interview, on se rabat sur le verbe. Parce que cette spectacularisation passe aussi par les bons mots, du graveleux et du coloré. Pour le coup, Dodo la Saumure est le bon client dont raffolent les médias, il le sait et en joue. Il se dit « proxénète honnête », régnant « humainement » au-dessus de « jeunes femmes indépendantes » sur lesquelles il n’a « aucun contrôle ». Il a surtout pour lui le sens de la formule, à la Audiard. De son vieil ami René Kojfer, chargé des relations publiques du Carlton, il raconte joyeusement qu’il est « un essayeur gratuit, même s’il n’a jamais eu la réputation d’être très efficient dans cet exercice ». Des rapports sexuels avec ses « femmes » ? « À 66 ans, avoir des relations avec les prostituées que j’emploie, ça va me coûter une fortune en Viagra ! » Sur BFMTV, on insiste sur ses formules ironiques, sur un Dodo « sûr de lui, haut en couleur, qui fait le show à la barre » .
On sent bien que tout ce qui intéresse ces chaînes, c’est le folklore de ce procès, avec ses têtes d’affiche et ses questions de morale, ou plutôt ses histoires de cul. Sur la prostitution, on ne s’attarde pas. On ne s’arrête pas sur les conditions de travail des femmes présentées aux clients « comme de la viande sur des crochets », ou comme « un objet, une marchandise », dit l’une d’entre elles à la barre, livrées 24 heures sur 24, entassées à douze ou treize dans une pièce en attendant d’aller travailler. On ne parle pas non plus de l’organisation des réseaux en Europe (qui ne sont pas seulement réservés à la traite des Nigérianes), des relations entre pouvoir et prostitution. On n’en profite même pas pour brosser le portrait d’une association comme le Nid, luttant contre la prostitution et protégeant ses victimes, comme l’une des filles du Carlton qui a pu se reconstruire grâce à elle. On reste dans les réflexions machistes, la banalisation de la prostitution, focalisé sur la passion de DSK pour la sodomie. Son retour à la barre ultra-médiatisé dans cette deuxième semaine de procès en est l’exemple flagrant.