Cauchemars à la chaîne
De Canal + à France Télévisions, un climat social tendu mobilise les personnels contre les baisses d’effectifs et la dégradation des conditions de travail.
dans l’hebdo N° 1341 Acheter ce numéro
Une fois n’est pas coutume. Les téléspectateurs amateurs des émissions diffusées en clair sur Canal +, telles « la Nouvelle Édition », « le Grand Journal » ou le « Petit Journal » de Yann Barthès, seront déboussolés le 5 mars. Dans l’histoire de la chaîne cryptée, qui a fêté ses 30 ans en novembre dernier, c’est la deuxième fois qu’on observe un mouvement de grève. Le précédent avait eu lieu en 2003, sous l’ère de Jean-Marie Messier, quand celui-ci avait viré Pierre Lescure. C’est dire si les personnels de Canal sont peu enclins à ce type de mouvement ; c’est dire si le malaise est grand. À la quasi-unanimité, à l’exception de l’Unsa, les syndicats (CFDT, CGC, CGT) entendent dénoncer la dégradation des conditions de travail et les réductions d’effectifs. De fait, les émissions de Canal +, mais aussi celles de D8 et de D17, les centres d’appels du service clients et les services techniques devraient être perturbés ce jour-là.
Le groupe Canal + France, qui emploie environ 3 500 salariés, « a vu ses effectifs baisser d’une dizaine de personnes par mois. Et dans le centre de relations clients, qui emploie 750 personnes, 80 postes ont été supprimés ou non pourvus au cours des derniers dix-huit mois », soulignent les syndicats. En interne, on s’inquiète aussi de la diminution de l’activité en France par rapport à l’international, devenu le moteur de la croissance de Canal. Depuis plusieurs années, ajoutent les syndicats, « la direction rogne sur les coûts. C’est une véritable machine à broyer qui s’est progressivement installée, avec une multiplication des licenciements et des ruptures conventionnelles, ce qui accroît la charge de travail pour ceux qui restent dans un contexte économique extrêmement incertain ». Une réalité qui touche l’ensemble du groupe, tous les secteurs de l’entreprise (distribution, technique, édition, Studio Canal, i-Télé), où la même rengaine, celle des économies, rythme le quotidien. « Sans perspective autre que celle du lendemain, les salariés subissent sans toujours la comprendre une politique sociale contraignante, où l’absence de dialogue rime avec oukase et décisions abruptes. » Sur son blog, la CGC rappelle que ce début d’année 2015 a vu ces phénomènes s’accélérer : « Partout, les patrons de business agissant sur ordre sont chargés de repérer les salariés dont le poste pourrait être supprimé, les missions restructurées, d’accompagner des collaborateurs vers la sortie. » Les conséquences de cette politique sociale sont maintenant palpables « à tous les étages, poursuit la CGC. Mines déconfites, multiplication des absences, burn-out en progression inquiétante, malaise généralisé. Le drame n’est pas loin ». Si le groupe doit se restructurer, s’adapter, concèdent les syndicats, « il doit réaliser sa mue dans le respect total de ses collaborateurs, hors d’une contrainte permanente insupportable ». La grève conduira-t-elle à cette « refondation sociale qu’une très large majorité appelle de ses vœux ? », s’interrogent les syndicats. Jusque-là, les salariés se sont heurtés à « l’incapacité d’une direction à écouter et à entendre » .
Pour ceux qui penseraient que plus belle est la vie sur le service public, rien n’est moins sûr. En effet, à deux mois de la nomination d’un nouveau président à la tête de France Télévisions, le climat social est tendu. Depuis la fin janvier, les syndicats organisent des grèves quotidiennes contre le projet de réorganisation, baptisé « Info 2015 », visant à unifier les rédactions de France 2 et de France 3, et bouleversant les conditions de travail (avec nouveaux contrats et changements hiérarchiques). Des grèves partiellement suivies qui perturbent les antennes, « mais pas assez pour que le téléspectateur s’en aperçoive », commentent les délégués de FO et du SNJ, qui craignent une réduction des effectifs et une uniformisation de l’info (après que la direction a déjà imposé un plan de départs volontaires de plus de 360 personnes il y a un an). Autre doléance : l’arrêt de l’externalisation de certaines émissions, réalisées chez des sous-traitants, avec là encore des conditions de travail dégradées pour mieux rogner sur les coûts.