Clémentine Autain : « Il nous reste à gravir l’Himalaya »
Au lendemain du congrès constitutif d’Ensemble !, Clémentine Autain affirme la nécessité d’un pôle neuf et porteur d’espoir à la gauche du PS, qui fédère les luttes sociales et écologiques.
dans l’hebdo N° 1339 Acheter ce numéro
La victoire de Syriza conforte l’optimisme qui se dégage du dernier essai de Clémentine Autain. Même si en France tout reste à faire, reconnaît la porte-parole d’Ensemble !, la troisième composante du Front de gauche.
La victoire de Syriza fait partie de vos raisons d’espérer ?
Clémentine Autain : Une raison magistrale ! Depuis, beaucoup de personnes nous demandent si l’on se voit gouverner… Cela nous sort de la simple posture contestataire, à laquelle nous sommes identifiés, pour nous projeter comme une force capable d’être en responsabilité. Les questions posées par Alexis Tsipras et la situation grecque permettent également de poser à l’échelle européenne des enjeux structurants : la dette – d’où elle vient, le pouvoir financier sur nos vies –, le caractère non démocratique des mesures d’ajustement structurelles imposées par la troïka… C’est un point d’appui, comme l’est la situation espagnole, où la manifestation de dimanche a été impressionnante. Cela prouve qu’il y a des mobilisations populaires, surtout au sud de l’Europe. Elles montrent la voie d’une gauche neuve et radicale, qui prend les problèmes posés par le néolibéralisme à la racine. La France n’en est pas là…
Quelles réflexions vous inspire la législative partielle du Doubs ?
Fait d’époque, la surprise n’est pas que le FN soit qualifié mais que le PS soit au deuxième tour. L’abstention massive, qui n’est pas une nouveauté, l’ancrage du vote FN qui cristallise le rejet du « système » et notre difficulté à prendre la main nous mettent face à nos responsabilités. Il faut qu’un pôle neuf et rassemblé émerge vite à la gauche du PS pour disputer l’hégémonie de la critique du système au FN et incarner à nouveau l’espoir à gauche. Nous sommes devant un double défi : répondre à la crise de la gauche, qui est aussi une crise du mouvement ouvrier et des syndicats historiques, en redonnant du sens au mot « gauche » ; et répondre à la crise de la politique par la régénération de nos propres pratiques organisationnelles, de nos références, de notre projet, et par la perspective d’une rupture avec la monarchie républicaine et le présidentialisme.
Le mot « gauche » est devenu un repoussoir…
Parce qu’il est assimilé à ce gouvernement qui ne répond pas aux attentes populaires, contrairement à Syriza et à Podemos. Eux ont émergé en se différenciant clairement du Pasok ou du PSOE. Cela fait partie des enjeux : être capable de fédérer toutes les forces qui veulent être au service d’un projet de transformation sociale et écologique.
Votre formation politique, Ensemble !, tenait ce week-end son congrès constitutif. Comment cela s’est-il passé ?
Particulièrement bien. Nous comptons plus de 2 000 adhérents et 350 personnes ont participé aux travaux. C’était un congrès fondateur avec une étape décisive pour notre formation politique, toute nouvelle. Nous avons voté des modalités de fonctionnement d’une organisation en tant que telle. Il s’agit donc d’une étape. Ensemble ! veut être utile à la construction d’une force nouvelle, ouverte, citoyenne. Ce travail de rassemblement, nous l’avons expérimenté par un travail patient de mise en commun à partir de cultures et de traditions différentes : les Alternatifs, issus de la tradition du PSU, la Gauche anticapitaliste, venue du NPA, les Communistes unitaires… Réussir ce pari est un atout dans cette période de recomposition politique.
« Le Front de gauche a atteint ses limites », a déclaré Jean-Luc Mélenchon ce week-end. C’est votre avis ?
Pierre Laurent l’a dit aussi, à sa façon. Après la présidentielle, nous n’avons pas réussi à prolonger l’élan de la campagne. Les adhésions directes n’ont jamais été possibles, et on s’est vite retrouvé dans un tête-à-tête entre le PCF et le PG, mortifère pour la dynamique globale. Nous sommes aujourd’hui dans une séquence politique nouvelle avec la sortie du gouvernement d’EELV, leur soutien à Syriza. La victoire de Tsipras et la percée de Podemos modifient aussi le champ des possibles. Beaucoup de mobilisations, chez les ouvriers de Fralib, les femmes de chambre du Royal-Monceau ou les écologistes de Notre-Dame-des-Landes et d’ailleurs existent, mais elles sont éclatées. L’enjeu est de fédérer ces luttes sociales et ces mobilisations citoyennes, en travaillant à une architecture politique nouvelle.
C’est l’objectif des Chantiers de l’espoir ?
C’est le pari du Front de gauche, qui y est dans toutes ses composantes, et également celui d’EELV. On joue gros. Il faut que ce dispositif monte en puissance dans les mois qui viennent. Deux premières réunions se tiennent ce week-end à Paris et à Montpellier. Le site Internet est lancé. Toute une série de propositions vont émerger sous forme de tribunes. La responsabilité de tous les signataires est engagée et le pire serait qu’une sorte de résignation l’emporte. Il faut qu’on bâtisse une habitude à être ensemble, à se confronter, à échanger, pour constituer un imaginaire commun et un espace politique cohérent, respectueux des différences. Les chantiers ne doivent pas être un cartel mais un espace ouvert et productif.
Il reste peu de temps d’ici à 2017…
L’urgence n’est pas toujours bonne conseillère pour des constructions politiques solides et durables. En politique, il faut se méfier des raccourcis qui peuvent au final nous faire reculer. Nous voulons des formes politiques qui donnent un peu d’air, plus en lien avec les mobilisations sociales et citoyennes, le monde culturel et artistique, pour sortir de l’entre-soi. Ces chantiers visent le refus de l’austérité, du productivisme, de toutes les formes de domination et de racismes. Mais nous ne pouvons pas être simplement dans la critique du gouvernement. Nous devons faire émerger un « nous pouvons » français qui donne envie et dispute la critique du système au FN. En France, il nous reste encore à gravir l’Himalaya. Nos camarades grecs et espagnols nous montrent que c’est possible. Et même à une vitesse vertigineuse, celle propre aux situations de tensions extrêmes et d’accélération que nous traversons.