Cyril Seassau : « En période d’austérité, la culture passe au second plan »
Face à la baisse des dotations aux collectivités, le Syndeac lance des rencontres sur la place des arts et de la création.
dans l’hebdo N° 1342 Acheter ce numéro
L’austérité n’épargne pas la culture. Mais les marches pour la culture et les mobilisations des intermittents au printemps 2014 ont permis de maintenir le budget pour 2015. Alors qu’il était en baisse de 4 % en 2013 et de 2 % en 2014, il est reconduit à 7 milliards d’euros, dont une hausse de 2 % pour la création et un maintien des moyens des directions régionales des affaires culturelles (Drac). Le problème est que cette stabilisation intervient au moment de la baisse des dotations de l’État aux collectivités. Or, depuis les années 1980, la vie culturelle en France repose sur un partenariat dynamique entre État et collectivités. Ce maillon s’affaiblissant, tout l’équilibre est fragilisé. D’autant plus que la réforme territoriale entame une refonte de la gouvernance des politiques publiques, dont celles qui concernent le secteur culturel. Quelle place pour la culture dans cette réforme ? L’éclairage de Cyril Seassau, directeur du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), qui organise pendant plusieurs semaines des rencontres intersyndicales et interrégionales en France sur ce thème.
Quel est l’enjeu du tour de France organisé par le Syndeac à propos de la réforme territoriale ?
Cyril Seassau : Ces rencontres suivent plusieurs actions engagées depuis l’automne, dont des tables rondes à l’Assemblée nationale et l’Appel du 10 décembre au théâtre de la Colline. Nous y avons convié les syndicats, des acteurs associatifs, des élus, des spectateurs, etc. Elles s’inscrivent dans plusieurs agendas : la réforme territoriale, la revue des missions de l’État et la raréfaction des subventions publiques. Le millefeuille territorial que certains dénonçaient débouche aujourd’hui sur un millefeuille législatif : la loi Mapam sur les compétences des nouvelles métropoles (janvier 2014), la loi sur la réforme territoriale avec sa carte de treize régions (décembre 2014) et la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République), qui est en discussion à l’Assemblée. On est en train de modifier en profondeur notre rapport aux différentes administrations et échelles de gouvernance. Dans le secteur des arts et de la culture, depuis la fin des années 1980, les politiques publiques se sont toujours appuyées sur des dynamiques volontaristes et complémentaires entre l’État et les collectivités. Cet empilement de lois vient poser la question de l’intégration de la culture et de la création dans les politiques globales.
Que craignez-vous avec ces réformes ?
Des décisions relatives au livre ou aux arts plastiques sur un territoire peuvent-elles se retrouver soumises aux aléas politiques locaux ?
On connaît les écueils de la situation actuelle, mais les réformes en cours ne les pallient pas complètement. Le Syndeac défend la présence d’un maximum d’acteurs autour de la table. Si des négociations ont lieu entre la ville, l’État, le département, la région, les intercommunalités et les communautés d’agglomération, on se réserve le maximum de chances de trouver une solution d’intérêt général. Certains territoires ont déjà lancé des concertations, comme les Pays-de-la-Loire et Rhônes-Alpes. Finalement, les rencontres que nous organisons inaugurent la méthode de concertation que nous demandions : elles permettent aussi aux spectateurs de s’exprimer. La question de la place de l’art et de la création est déterminante : que serait une société avec des industries culturelles mais sans garantie sur la diversité de la création ? Nous avons été consultés pendant de nombreuses années pour préparer une loi sur la création qui a finalement été réduite et morcelée. Elle doit être présentée à l’automne : nous souhaitons qu’elle reconnaisse la place des artistes dans notre société, la liberté de création, de programmation et de diffusion, mais aussi la fonction émancipatrice du projet culturel.
Le spectacle vivant est-il un secteur négligé ?
Ça a été le cas, mais les mobilisations des intermittents et des marches pour la culture ont permis d’obtenir une levée du gel des crédits de l’État en 2015, et même une promesse d’augmentation des crédits généraux en 2016. Sauf que cela intervient dans un contexte de baisse des dotations aux collectivités et de tassement des subventions publiques. Dans une politique globale d’austérité, la culture n’est pas le premier choix pour tous. Ce n’est pas une compétence obligatoire. Par conséquent, quand certaines villes sont étranglées budgétairement, c’est souvent le premier secteur à souffrir. Quand les lieux sont mis en difficulté, il faut aussi s’inquiéter de l’activité des artistes et des compagnies, qui ont de plus en plus de mal à trouver des moyens de création mais aussi de diffusion. Le Forum du Blanc-Mesnil (93), par exemple, qui a fourni un énorme travail pendant quinze ans, vient de subir les conséquences de conflits entre les partenaires : ville, département, ministère de la Culture et Région. La ville s’est retirée de la convention, qui est devenue caduque. Cette scène conventionnée s’est effondrée. C’est pour éviter de tels désastres que nous réclamons une forme « d’obligation à s’entendre ». Avec ce lieu, en plus d’une programmation, c’est tout un projet de résidences de création, d’action culturelle et d’éducation artistique qui est perdu.
Observez-vous une forme d’ingérence d’élus dans la programmation ?
En effet, nous voyons de plus en plus d’élus qui défendent une politique de la demande supposée d’un public contre la politique de l’offre que les scènes proposent : présenter des œuvres que les spectateurs ne verront pas ailleurs, avec une diversité de propos et d’esthétiques qui déstabilisent, car c’est une des fonctions de l’art. Au Blanc-Mesnil, le maire veut du stand up. À Quimper, il décrète qu’un spectacle n’est pas à son goût pour les familles. À Tourcoing ou à Grenoble, des subventions sont retirées car le projet du lieu ou celui de la compagnie ne sont pas assez « locaux ». Par ailleurs, on est toujours surpris quand des élus soutiennent un projet en ajoutant : « Il faudra faire beaucoup de médiation », alors que le lien aux publics fait partie du cœur de nos métiers ! On ne pose pas un geste artistique sans l’accompagner. Tout cela montre à quel point il est important de questionner à nouveau la place de l’art dans notre société, et de continuer d’expliquer et de partager le quotidien des projets.