Départementales : L’élection à mille inconnues
Si l’on attend une faible participation, ce scrutin, inédit dans sa forme actuelle, n’est pas joué d’avance.
dans l’hebdo N° 1341 Acheter ce numéro
Une élection qui change de nom, de mode de scrutin, et destinée à élire des représentants d’une institution promise à la casse… À coup sûr, les départementales (nouveau nom des cantonales) mobiliseront peu d’électeurs les 22 et 29 mars prochains. Traditionnellement boudées par les Français – dans les années 1960, déjà, certains scrutins dépassaient les 40 % d’abstentionnistes –, les cantonales ont battu un record d’abstention en 2011, avec près de 56 % des inscrits qui ne s’étaient pas rendus aux urnes.
Cette fois, la toile de fond apparaît encore moins propice à la mobilisation. Entre un François Hollande qui déclarait, le 6 avril dernier, que « les conseils généraux ont vécu » et un Manuel Valls bien décidé à leur faire la peau avant de leur accorder un sursis « jusqu’en 2020-2021 », on peut comprendre le peu d’entrain à voter pour une institution que l’exécutif n’a eu de cesse de vouer aux gémonies ! Ajoutez à cela « le désenchantement politique actuel, notamment dans l’électorat de gauche, indique Thomas Frinault, maître de conférences en sciences politiques à l’université Rennes-II [^2], mais aussi la faible connaissance par le grand public des compétences du département, et celle, encore plus faible, des élus qui y siègent ». Si personne ne se fait d’illusions sur le taux de participation, les départementales 2015 peuvent en revanche réserver quelques surprises. Car cette année, tout change. Non contente de rebaptiser les conseils généraux en « conseils départementaux », la loi du 17 mai 2013 voulue par François Hollande a remanié ces élections de fond en comble. Avec deux changements majeurs : le redécoupage des cantons – jusqu’alors plutôt favorable à la droite – et la réforme des règles d’un scrutin inchangé depuis 1871. Si le nombre de cantons a été divisé par deux, ce n’est en revanche plus un ou une candidat(e) que les Français éliront dans chaque canton tous les six ans. Mais un candidat et une candidate, dont les deux noms figureront sur le même bulletin de vote. Conçu pour atteindre la parité, ce scrutin dit binominal, inédit dans l’histoire électorale mondiale, n’est pas des plus lisibles. Après avoir fait campagne main dans la main, le binôme est en effet voué à se séparer, chaque élu exerçant son mandat « de façon individuelle ». Un « système velcro », selon le mot d’Aurélia Troupel, chercheuse en sciences politiques à l’université de Montpellier-I, « qui soulève de nombreuses questions, notamment en termes d’ancrage territorial et d’exercice du leadership [^3] ». Et qui « ne ménage pas de place pour l’opposition puisque le binôme arrivé en tête remporte les deux sièges du canton [^4] ». « Ce type de scrutin a un mérite : en faisant entrer la parité, il force un renouvellement du personnel politique, estime Pascal Savoldelli, responsable des élections au PCF. Mais il a un aspect très discutable : il favorise les grands partis. »
Car c’est une autre spécificité des prochaines élections : pour qu’il y ait triangulaire, le troisième binôme de candidats devra passer la barre des 12,5 % des inscrits (contre 10 % auparavant). Une configuration quasi impossible au vu de l’abstention prévue. « C’est l’UMP qui, en 2011, a décidé de relever la barre de qualification pour éviter les triangulaires avec le FN, explique Thomas Frinault. Mais, quatre ans plus tard, ce nouveau calcul est de la nitroglycérine pour l’UMP et le PS ! » Quand le premier pourrait se retrouver dans des duels tragiques avec le FN, les socialistes, même avec un score à 20 % des votants, risquent de ne jamais atteindre le deuxième tour dans bien des cantons ! « Le redécoupage électoral, dont la gauche attendait un gain à la base, pourrait néanmoins sauver les meubles », ajoute Thomas Frinault. Les formations de gauche plus petites (EELV, PCF, Parti de gauche, Ensemble !…), même réunies dans une alliance au sein des binômes, auront encore plus de mal à passer la barre des 12,5 %. « Ce seuil était aussi destiné à encourager les alliances entre le PS et les autres partis de gauche, et du coup à affaiblir le pluralisme », grogne Pascal Savoldelli.
Si, en fin de compte, les alliances PS/EELV ** ou PS/Front de gauche se font plus rares qu’escomptées (voir ci-contre), elles ne bénéficieront pas du même régime lexical. Le ministère de l’Intérieur projette de placer les binômes Front de gauche/EELV sous l’étiquette « Divers gauche », alors que les binômes alliant un(e) candidat(e) socialiste à un(e) candidat(e) d’une autre formation de gauche se verraient qualifiés… d’« Union de la gauche ». Tout un symbole !
[^2]: Auteur du Pouvoir territorialisé en France (Rennes, PUR, 2012).
[^3]: « La loi du 17 mai 2013 : une réforme à double détente des élections locales », in Pouvoirs locaux n° 97, juillet 2013.
[^4]: « La réforme territoriale de Valls peut anticiper les défaites du PS », Politis.fr, 14 avril 2014.