Hépatite C : Comment en finir avec le monopole ?
L’Europe a les moyens de faire baisser le prix du médicament, mais tarde à prendre des mesures.
dans l’hebdo N° 1341 Acheter ce numéro
Premier intérêt de l’opposition déposée par Médecins du monde contre le brevet sur le sofosbuvir, principe actif du Sovaldi : faire tomber le monopole de Gilead sur ce médicament révolutionnaire contre l’hépatite C, et faire baisser son prix en ouvrant sa production à la concurrence. Pour l’ONG, le brevet restreint l’accès au médicament et menace les systèmes de santé européens. Ce que confirme Michèle Rivasi, députée européenne (Verts) et initiatrice de l’opération Mains propres sur la santé. « Lors du débat qui s’est tenu au Parlement européen le 11 février sur l’accès aux médicaments, l’Espagne a déploré onze morts de l’hépatite C par jour sur son territoire. Le sofosbuvir y est commercialisé 23 000 euros, soit moitié moins qu’en France mais c’est encore exorbitant. » En France, la prise en charge même restreinte du sofosbuvir par la Sécurité sociale est évaluée à 5 milliards d’euros, un tiers de son déficit. Aux États-Unis, il est vendu plus de 70 000 euros. En Inde, son prix aurait été fixé assez bas pour décourager les copies.
Du fait des systèmes de santé solidaires, l’Europe représente le plus gros marché pour Gilead. « La Commission européenne a un rôle central à jouer, explique Michèle Rivasi : elle pourrait déjà conditionner à une garantie d’accessibilité les aides publiques à la recherche pharmaceutique qui, dans le cadre du partenariat public-privé Innovative Medicines Initiative, s’élèvent à 1,6 milliard d’euros. Elle pourrait aussi encourager des achats groupés à cinq pays. » Si la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni et le Portugal s’entendaient pour acheter du sofosbuvir, son prix baisserait. L’autre levier serait celui de la licence obligatoire, directive de l’Organisation mondiale du commerce stipulant que chaque État membre peut décréter un traitement non brevetable. Pourquoi attendre ? « Méconnaissance de la licence obligatoire », suppose la députée, qui rappelle que la Grèce, notamment, n’aurait aucun mal à faire valoir le caractère d’urgence sanitaire actuel.
Angle mort dans l’offensive lancée par Médecins du monde : quelle est l’indépendance de l’Office européen des brevets (OEB), organe exécutif de l’Organisation européenne des brevets instituée en 1973 et rassemblant quarante pays ? Présidé par le Français Benoît Battistelli, l’Office a notamment pour mission d’examiner les oppositions formées contre les brevets européens. Cet examen procède par allers-retours entre le détenteur du brevet et ses opposants avant une audience devant trois examinateurs, dont celui qui a attribué le brevet. C’est la même procédure que l’arbitrage privé utilisé dans les accords de libre-échange. Cependant, « dans l’opposition Institut Curie contre Myriad Genetics [voir entretien ci-contre], l’office a donné tort à l’entreprise », rappelle Céline Grillon, de Médecins du monde. La procédure contre le brevet sur le sofosbuvir devrait durer un à deux ans. Lancé fin 2013, le Sovaldi seul avait déjà rapporté 10,3 milliards de dollars de recettes à Gilead fin 2014. Merck, qui voulait lancer son propre traitement contre l’hépatite C et s’est fait doubler par Gilead, vient de racheter Idenix Pharmaceuticals. Le deuxième groupe pharmaceutique américain espère ainsi combiner les médicaments les plus prometteurs des deux firmes pour mettre au point un autre traitement de l’hépatite C. Reste à savoir quand la concurrence profitera réellement aux personnes atteintes de cette maladie.