Israël : La surprise « non sioniste »
À six semaines de législatives qui s’annoncent serrées, la formation d’une liste arabe unifiée crée l’événement. Selon un récent sondage, la question sécuritaire a désormais cédé le pas à celle du coût de la vie dans les préoccupations des Israéliens.
dans l’hebdo N° 1339 Acheter ce numéro
La lutte s’annonce plus serrée que prévu, en vue des législatives israéliennes du 17 mars, entre la droite conduite par l’actuel Premier ministre, Benyamin Netanyahou, et une liste que l’on pourrait qualifier de centre-gauche, formée par l’ancienne ministre de la Justice, Tzipi Livni, du parti centriste Hatnua, et le leader travailliste Isaac Herzog. Cette dernière coalition devance légèrement le Likoud (25 sièges contre 23) dans les dernières enquêtes d’opinion. Mais l’événement de ces derniers jours est l’annonce d’une liste unitaire regroupant entre autres les trois principaux courants arabes ou judéo-arabes israéliens : la Liste arabe unie (Ra’al), le Mouvement islamique, le parti Balad et celui de la gauche antisioniste et judéo-arabe, Hadash. Elle sera conduite par l’avocat et leader de Hadash, Ayman Odeh. Figurent également la députée Haneen Zoabi, de Balad, l’écolo-communiste Dov Khenin, et l’ancien conseiller d’Arafat, Ahmed Tibi. Les Palestiniens d’Israël représentent 20 % de la population, soit près d’un électeur sur cinq. En 2013, leur taux de participation était de 56 %, contre 67 % pour le reste du pays. Cette fois, les sondages annoncent une poussée nette de 10 % de leur participation qui pourrait leur permettre d’obtenir jusqu’à 14 sièges.
La campagne du « camp non-sioniste » avait déjà été marquée par un ralliement de poids en décembre. Avraham Burg, président de la Knesset entre 1999 et 2003, s’était affiché dans une manifestation du Hadash à Nazareth. Kippa vissée sur la tête, il diagnostique une « vieille énergie » guidant Israël. La seule solution résiderait, selon lui, dans une renonciation par les juifs israéliens à « leurs privilèges ». À droite, la campagne de Benyamin Netanyahou est compliquée par la rude concurrence de Naftali Bennett, leader des colons et chef de file du HaBayit HaYehudi (le Foyer juif), troisième force électorale selon les sondages, qui lui donnent 17 sièges. Sa campagne s’inscrit dans le militantisme 2.0, avec une présence massive sur les réseaux sociaux et des clips où le leader se met en scène. Celui qui hier affirmait n’avoir aucun problème avec le fait d’avoir « tué des Arabes », veut apparaître aujourd’hui comme le candidat « cool » d’une certaine jeunesse. Selon le magazine Times of Israël, 50 % de ses électeurs ont moins de 34 ans. Partisan de l’annexion de la Cisjordanie, il compte également sur une solide base militante dans les colonies israéliennes, environ 22 % de ses membres.
Quant à Netanyahou, il surfe toujours sur l’argument sécuritaire, au point que certains, en Israël, redoutent ce qu’on appelle une « guerre électorale » avec le Hezbollah libanais. Un conflit armé avant une élection difficile étant toujours un recours pour le Likoud. L’autre argument de l’actuel Premier ministre est sa popularité au sein du Congrès américain. Selon l’Agence télégraphique juive, 90 % des fonds de campagne du candidat proviendraient des États-Unis, soit 237 000 dollars sur les 259 000 investis. Netanyahou pointe « l’immaturité » de ses concurrents de droite, et « la mollesse » de ses adversaires de gauche. Au centre-gauche, le Parti travailliste, allié à Tzipi Livni, est à son plus bas niveau historique si l’on en juge par ses effectifs : 50 000 militants contre 67 000 en 2011. Il tente de se refaire en affichant une image jeune et féminine. Derrière les deux figures de tête se trouvent Shelly Yachimovitch, mais surtout Stav Shaffir, 29 ans, et Itzik Shmuli, 34 ans. Shaffir était l’une des figures du mouvement des Indignés de l’été 2011, et Shmuli est l’ancien président de l’Union nationale des étudiants d’Israël. Des personnalités attachées aux problématiques socio-économiques, mais également favorables à une relance des négociations avec l’Autorité palestinienne.
Un discours qui pourrait entraîner un ralliement du parti de gauche sioniste, Meretz, qui repart en campagne, cette fois encore, avec la militante des droits de l’homme Zahava Gal-On. Dans un clip de campagne, des militants promettent une « révolution avec le Meretz au gouvernement ». Un message en direction du tandem Livni-Herzog. Ces derniers voudront-ils l’entendre ? En chute libre, le centriste Yair Lapid, porte-parole des Israéliens opposés aux privilèges des religieux. Il propose à présent un plan global en accord avec la Ligue arabe devant déboucher sur une séparation stricte d’avec le voisin palestinien. Il est crédité de 11 sièges dans les sondages. En chute libre également, les partis religieux, divisés depuis la mort, en 2013, d’Ovadia Yossef, le leader du Shass, le parti séfarade ultraorthodoxe qui pourrait perdre quatre de ses onze sièges actuels. Ce qui lui vaudrait d’être menacé par son rival ashkénaze de Yahadut Hatorah (Judaïsme unifié de la Torah). Cet effritement est aussi dû à l’apparition d’un « nouveau » dans la campagne, Moshe Kahlon, ancien ministre de Netanyahou, qui vient de lancer son propre parti. Figure séfarade populaire, il est aujourd’hui crédité d’environ 9 sièges, et se fait remarquer par ses déclarations chocs à propos du nécessaire durcissement contre les ennemis d’Israël : le Hamas et le Hezbollah.
Mais un récent sondage de l’institut HaMidgam, publié par Times of Israël, plaçait le coût de la vie en tête des préoccupations des Israéliens, devant la sécurité. Si Netanyahou arrive bon dernier sur la question sociale, la liste Livni-Herzog n’est pas jugée crédible sur les questions autour de la défense. Quant à la paix avec les Palestiniens, le sujet est jugé primordial pour 9 % seulement des sondés. Les colons de Cisjordanie représentant une importante réserve électorale, les partis en campagne laissent volontairement de côté un problème majeur : le coût de l’occupation et de la colonisation dans le budget israélien. Un thème qui aurait pourtant l’avantage de lier la question économique et la question de l’occupation.