La Justice des mineurs doit encore se serrer la ceinture
Le nouveau rapport de la Cour des comptes sur la Protection judiciaire de la jeunesse préconise de poursuivre les économies engagées et continue à faire primer le pénal sur l’éducatif.
Ce 2 février, la Garde des sceaux, Christiane Taubira, organise une journée pour fêter les 70 ans de l’ordonnance de 1945. Un texte qui sert de socle à la justice des mineurs en France et consacre la primauté de l’éducatif sur le répressif.
Cet anniversaire intervient peu après la publication, le 21 janvier du dernier rapport de la Cour des comptes sur la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) commandé par la Commission financière du Sénat.
Comment poursuivre les économies dans le secteur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ? Telle semble être la problématique sur laquelle la Cour s’est penchée.
Cette enquête avait surtout pour but d’évaluer les conséquences des changements législatifs et financiers que la PJJ a traversé ces dernières années. Depuis la loi du 6 mars 2007, les interventions de la PJJ ont été recentrées sur la prise en charge pénale des mineurs délinquants. En parallèle, la PJJ, dépendante du ministère de la justice, a vu ses dotations budgétaires diminuer et ses effectifs baisser de près de 6 % entre 2008 et 2012. Ces restrictions de personnels et de moyens financiers interviennent dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a pour objectif d’accroître l’efficacité des politiques publiques tout en diminuant leurs coûts.
C’est dans ce contexte que la commission financière du Sénat a demandé à la Cour des comptes une évaluation de la PJJ. Pour ce faire, la Cour a pu s’appuyer sur ses précédentes enquêtes puisque, depuis 2003, c’est la troisième fois que la PJJ est passée à la loupe. Cette dernière avait précédemment constaté une grande désorganisation de la PJJ, notamment administrative. En 2015, le constat est bien meilleur : le rapport reconnaît de «nets progrès» dans l’organisation et dans la prise en charge des mineurs délinquants.
Des PJJ aux départements, un transfert de compétences contesté
Le recentrage, toujours plus important, de la PJJ sur ses activités pénales a notamment retenu l’attention de la Cour. Historiquement, les missions de la PJJ se déclinent dans deux domaines : civil et pénal, en s’appuyant toujours sur des mesures éducatives. Or, depuis 1983 (et avec une accélération depuis 2007), les mesures d’assistances éducatives doivent être prises en charge par les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou confiées à des associations habilitées.
Actuellement, ce transfert de compétences des PJJ vers les départements n’est toujours pas arrivé à son terme, bien que la Cour constate une amélioration dans le processus de séparation des tâches. Cette évolution toujours inachevée a soulevé la contestation de certains magistrats. Les opposants à cette «spécialisation» mettent en évidence que cette division reviendrait à supprimer la possibilité de construire un véritable parcours judiciaire pour un mineur qui ferait, d’abord, l’objet d’une mesure pénale, et ensuite d’une mesure civile. Mais l’imbrication de compétences est souvent génératrice de doublons et de surcoûts, ce que la Cour des comptes cherche à éliminer. Elle préconise donc d’achever cette division entre PJJ et départements.
Outre cette pénalisation croissante, la Cour demande également à la PJJ de continuer à rationaliser son dispositif. Dans ce cadre, plusieurs recommandations ont été faites, notamment pour mieux évaluer les coûts et les dépenses : améliorer le service d’audit, accroître la coordination avec les acteurs partenaires de la PJJ, être plus précis dans le calcul des coûts et permettre une meilleure évaluation des prévisions budgétaires par notamment, une meilleur comptabilité analytique.
La Cour des comptes entend également rationaliser les pratiques professionnelles des personnels de la PJJ : éducateurs, psychologues, assistants des services sociaux, infirmiers, professeurs techniques… Le rapport constate effectivement des façons d’exercer différentes selon les antennes et les territoires, voire même selon les éducateurs, à l’intérieur d’une même antenne. Cela serait dû à «l’individualisation» du suivi des mineurs. La Cour reproche à la PJJ de faire du cas par cas, introduisant de fait, des inégalités de traitements selon les territoires. Pour remédier à cet état de fait, la Cour prescrit la mise en place d’un florilège de guides, référentiels, indicateurs en tout genre, afin d’harmoniser les pratiques.
Entre les professionnels du secteur et les instances d’évaluation, l’écart se creuse
Reste que le cas par cas faisait partie des fondamentaux de la PJJ. «Avec ce modèle de justice éducative, une culture professionnelle s’est élaborée , rappelait pourtant Catherine Sultan, directrice de la PJJ, en septembre 2014. Les savoir-faire qui en sont issus ne sont pas à réinventer, ils sont un atout et fixent le cap à tenir» . Ainsi, il semblerait qu’un écart se creuse entre les professionnels du secteur et les instances d’évaluation.
Symptomatique de ce décalage, l’existence de certains référentiels que le personnel n’utilise pas tels le dossier unique de personnalité, introduit en 2011, censé regrouper tous les éléments relatifs à un mineur pris en charge.
À propos de la réorganisation en cours à la PJJ, le sociologue Laurent Mucchielli déplorait, sur son blog, en juin 2012 : «Un management perçu par tous comme particulièrement brutal, imposant à marche forcé des restructurations pour partie demandée par la Cour des comptes depuis un rapport très critiqué de 2008, mais aussi des indicateurs de “performances” de type quantitatif ne faisant guère de cas de la spécificité du travail éducatif avec des jeunes en difficultés» .
«Des professionnels ont perdu leurs repères habituels dans une avalanche de réformes, une redéfinition des missions éducatives, la multiplications des tâches administratives» , ajoutait déjà Jean-Pierre Michel, ancien sénateur, dans son rapport de 2013 sur la PJJ.
Si la Cour des compte joue son rôle de contrôleur des dépenses, elle semble faire l’impasse sur ce qui fonde la PJJ. «Contrairement à ce que l’on peut croire, c’est dans les années 1950 que la délinquance juvénile était la plus forte , souligne le sociologue Francis Bailleau. Dans un contexte d’après-guerre, de reconstruction, les pouvoirs publics ont décidés d’investir sur la jeunesse. Deux décennies plus tard, le chômage est apparu et ce paramètre accompagné d’un accroissement de la délinquance est venu interroger la politique menée. La question reste : Doit-on toujours passer par des mesures éducatives ou bien s’orienter vers des sanctions plus pénales ?»
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