Les impostures du Réseau Voltaire
Venu de la gauche, le sulfureux Thierry Meyssan, adepte du complotisme, flirte aujourd’hui avec l’extrême droite et le régime syrien. Un ancien administrateur de son organisation témoigne.
dans l’hebdo N° 1339 Acheter ce numéro
Le 7 janvier, Thierry Meyssan écrivait sur le site Internet du Réseau Voltaire, en direct de Damas (Syrie), que « les commanditaires les plus probables [des assassinats à Charlie Hebdo ] sont à Washington ». Dans un entretien [^2] dont on peut lire l’intégralité sur le site du journal en ligne Cerises, Gilles Alfonsi, qui fut administrateur du Réseau Voltaire, retrace l’histoire d’une dérive complotiste.
**Quand et comment avez-vous connu le Réseau Voltaire et Thierry Meyssan ? **
Gilles Alfonsi : Le Réseau Voltaire n’a pas toujours été une officine proche des antisémites et de l’extrême droite. Il a été officiellement créé début 1994 dans le but de constituer « une cellule d’information au service des organisations laïques ». Ses statuts initiaux faisaient référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à la défense de la laïcité […]. De mon côté, c’est à partir de mon engagement associatif dans la lutte contre le sida que j’ai participé au Réseau Voltaire […]. À cette époque, Thierry Meyssan était devenu l’un des animateurs du Comité national de vigilance contre l’extrême droite, qui réunissait à peu près toutes les sensibilités républicaines. Sa réputation était aussi liée au fait qu’il a longtemps fait partie du secrétariat national du Parti radical de gauche et qu’il était franc-maçon, membre du Grand-Orient de France […].
Que s’est-il passé au sein du Réseau Voltaire après les attentats du 11 septembre 2001 ?
Thierry Meyssan a affirmé très tôt sa conviction que les attentats ne s’étaient pas déroulés comme annoncé, qu’il ne s’agissait pas d’une campagne de terreur islamiste mais qu’était responsable, directement ou indirectement, une partie du complexe militaro-industriel américain. Si son livre l’Effroyable imposture est sorti en mars 2002, les notes du Réseau Voltaire parues juste après l’événement disaient la même chose. Celle du 16 octobre 2001 affirmait « matériellement impossible qu’un Boeing 757-200 ait pu percuter la façade du Pentagone ». Celle du 5 novembre 2001 posait « l’hypothèse d’une responsabilité des Forces spéciales clandestines » américaines. L’apparent bon sens des « démonstrations » de l’auteur semblait pertinent, et il faisait pièce au discours guerrier de George W. Bush, qui annonçait l’intervention en Irak de 2003. J’ai donc fait partie des millions de Français qui ont douté de la thèse officielle, notamment du fait qu’un avion se soit écrasé sur le Pentagone […]. Avec mes camarades militants, nous avons mis beaucoup de temps à prendre pleinement conscience de ce qui se jouait. Sans donner de leçons, mais avec le souci d’alerter le lecteur sur ce qui nous pousse, chacun, à croire parfois à des sornettes ou à s’en remettre à des théories du complot, cela me semble devoir tenir lieu d’avertissement. Ces types de raisonnement fonctionnent comme des pièges sectaires et, avec le recul, j’insisterai sur cette idée : il ne faut pas confondre l’interrogation légitime de tous les faits sociaux ou politiques, y compris la contestation d’affirmations officielles présentées comme des vérités absolues, et l’abandon de tout esprit critique au profit de n’importe quelle hypothèse manipulatoire […].
Comment expliquez-vous le retournement du Réseau Voltaire ?
Il y avait eu dans les années qui ont précédé les attentats une évolution idéologique du Réseau : une place de plus en plus grande accordée aux questions internationales au détriment des questions nationales, sur lesquelles il s’était épuisé, une relativisation de la question de la laïcité au profit d’un discours de plus en plus centré sur l’anti-impérialisme (qui préparait la justification des alliances, y compris avec des religieux radicaux), une vision des États-Unis confinant à la paranoïa, comme s’il n’y avait pas suffisamment de bonnes raisons de critiquer l’impérialisme américain […]. Le terreau d’une certaine vision du monde était là, mais c’est dans les mois qui ont suivi la parution de l’Effroyable imposture que le Réseau Voltaire « nouvelle formule » a trouvé comme alliés des régimes autoritaires, des anti-Américains haineux, des rouges-bruns inquiétants (capables de signer des menaces de mort), des antisémites […].
[^2]: Entretien réalisé par Cerises, disponible en intégralité sur cerisesenligne.fr
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