Loi Macron : On t’a reconnu, Bolkestein !

Une disposition du projet de loi Macron est restée dans l’ombre. Elle transpose des directives européennes réformant la commande publique et ouvrant la santé au marché.

Thierry Brun  • 5 février 2015 abonné·es
Loi Macron : On t’a reconnu, Bolkestein !
© Photo : AFP PHOTO / BERTRAND GUAY

La loi Macron contient de nombreuses zones d’ombre, au point qu’une mesure est passée inaperçue. Le gouvernement de Manuel Valls, soucieux de ne pas indisposer sa gauche, a été d’une grande discrétion sur l’article 57 du projet de loi pour la croissance et l’activité, pourtant lourd d’enjeux. Son adoption habilite le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures pour transposer la directive européenne de 2014 sur l’attribution des contrats de concessions, un texte qui a suscité quelques remous en 2012 et 2013 lors de son examen au Parlement européen.

Un article abscons du projet de loi Macron a mis en colère les écologistes. L’article 28 autorise le gouvernement à prendre des ordonnances pour « accélérer l’instruction et la délivrance de l’autorisation des projets de construction et d’aménagement » et à « moderniser » le droit de l’environnement, dans le cadre d’une « politique de simplification au bénéfice notamment des entreprises, et qui vise à accélérer la réalisation des projets publics et privés ». Le gouvernement a dans le collimateur les procédures de débats et d’enquêtes publics dans lesquels s’appliquent les mesures du code de l’environnement. Ces « obstacles » à la réalisation de grands projets inutiles, comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et une centaine de projets qualifiés de « nuisibles » écologiquement recensés par France Nature environnement, seraient ainsi levés.

Le gouvernement Valls compte ainsi donner des gages à Bruxelles en revenant sur la promesse initiale faite par Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie, lequel estimait que la transposition des règles d’harmonisation et de simplification des contrats de service public en Europe devait être présentée dans un projet de loi. Il n’en est plus question avec l’article 57. En quelques lignes, celui-ci exclut le débat démocratique autour de cette réforme de la commande publique, et les nouvelles règles permettront aux États membres de l’Union européenne d’ouvrir à la concurrence de nombreux services publics, en particulier des services de santé et de sécurité sociale obligatoire. Pour la première fois, la directive introduit la notion de « concession de services » et en retient une définition très large, qui ne tient pas compte du caractère « public » de la fourniture des services ou des travaux. À gauche, seuls trois députés socialistes ont relevé la manœuvre de Bercy, dont les frondeurs Pascal Cherki et Pouria Amirshahi, qui ont déposé des amendements demandant la suppression de cet article. Tous rejetés en raison du délai, fixé au mois d’avril 2016, pour l’entrée en vigueur des nouvelles règles européennes. La transposition s’inscrit dans un chantier d’envergure de réforme de la commande publique en France. Concrètement, l’adoption des quelques lignes de l’article 57 autorisera le gouvernement Valls à transposer un paquet de trois directives adoptées en 2014, qui concernent les contrats de concession, la passation des marchés publics dans les « secteurs classiques » et la passation des marchés publics dans les « secteurs spéciaux » (eau, énergie, transports et services postaux). Le paquet « vise principalement à assurer aux opérateurs économiques la pleine jouissance des libertés fondamentales dans la concurrence pour les marchés publics », assure l’exposé des motifs de la directive concessions. Laquelle, au passage, élargit le périmètre des services relevant des procédures. L’attribution de contrats de concession, et donc l’application des règles de concurrence et de libre jeu du marché, s’applique à une longue liste de services sanitaires et sociaux, notamment des services hospitaliers, des services médicaux réalisés par des médecins spécialistes, infirmiers, ambulanciers, des services de crèches et de garderies d’enfants, des services sociaux pour les personnes âgées, etc.

Des contrats pourront être attribués à des services de sécurité sociale obligatoire. Un « État de l’Union européenne  [qui le] souhaiterait, dans le cadre de son autonomie en la matière, [peut] organiser certains services de sécurité sociale à travers un contractant  […]. Il faudra dans ce cas précis avoir les outils juridiques pour faire respecter des règles de bonne gouvernance, de transparence et d’équité dans le choix du contractant privé », a résumé, en 2012, un porte-parole de Michel Barnier, alors commissaire européen chargé du Marché intérieur et des services. Le contenu du texte a suscité quelques turbulences au sein de la gauche européenne, vite écartées par le groupe Socialistes et Démocrates, qui, après l’adoption des trois directives en 2014, a promis que « les nouvelles règles en matière de marchés publics et de concessions aideront à combattre la concurrence déloyale et le dumping social ». La Confédération européenne des syndicats a de son côté regretté « que les États membres gardent une grande marge de décision, notamment quant à la possibilité de préserver les contrats portant sur les services de santé et les services sociaux et culturels » .

Avec la transposition du paquet de directives réformant la commande publique, la Commission européenne ouvre de nouveau la porte à la privatisation des services de santé et de sécurité sociale obligatoire. Le contenu de la directive « concessions » rappelle la proposition de libéralisation des services présentée en 2004 par le très libéral Frits Bolkestein, alors commissaire européen chargé du Marché intérieur. Le texte soumettait les services de santé et de sécurité sociale aux règles de la concurrence, avant qu’il ne soit par la suite modifié pour les exclure. La Commission est revenue à la charge en 2007, en obtenant l’adoption d’un règlement révisant le système de classification applicable aux marchés publics. Celui-ci accueille désormais les régimes obligatoires de la sécurité sociale, les services sociaux et de santé. Révéler cet aspect du projet de loi Macron jette un éclairage nouveau sur certains aspects de la future loi sur la santé de la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

Économie
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