Pierre Khalfa : « En Grèce, une sortie de l’euro ne résoudrait rien »
Au lieu du compromis politique recherché par les dirigeants grecs, la Banque centrale européenne est engagée dans un coup de force ne laissant d’autre choix que de capituler, estime Pierre Khalfa.
dans l’hebdo N° 1340 Acheter ce numéro
Les dirigeants grecs sont attendus de pied ferme à Bruxelles alors que le pays souhaite un « programme-relais » d’ici à la fin juin pour assurer les besoins financiers immédiats et échapper aux plans d’austérité. Le Premier ministre, Alexis Tsipras, doit participer le 12 février à son premier sommet européen, au lendemain d’une réunion des 19 ministres des Finances de la zone euro, qui a étudié les propositions du gouvernement grec.
Que pensez-vous de la récente décision de la Banque centrale européenne (BCE), qui a interrompu un de ses moyens de financement ?
Pierre Khalfa : Il s’agit d’un coup de force éminemment politique. Les banques grecques pouvaient se refinancer à 0,05 % auprès de la BCE en plaçant en garantie (comme collatéraux) des titres de l’État grec. La BCE refuse aujourd’hui cela. Les banques grecques auront certes toujours accès au programme de liquidités d’urgence (ELA) mais, outre que ça leur coûtera beaucoup plus cher – le taux d’intérêt est de 1,55 % –, la BCE a annoncé que ce programme prendra fin le 28 février et, de plus, elle peut le couper à tout moment. La Grèce ayant décidé d’en finir avec la troïka, cet organisme qui regroupe des fonctionnaires de la BCE, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Commission européenne, la BCE considère que ce pays ne répond plus aux conditions pour que ses titres publics puissent être acceptés comme collatéraux. En fait, alors que le gouvernement grec essaie de négocier un compromis sur la dette, le communiqué de la BCE justifie sa décision en disant « qu’il n’est actuellement pas possible de présumer que la revue du programme [d’aide à la Grèce] aboutisse à un succès ». Il s’agit clairement d’une offensive contre le nouveau gouvernement grec, en ne lui laissant pour alternative que de capituler en reniant ses engagements ou de sortir de la zone euro.
La Grèce veut servir sa dette et discuter du moyen de la rendre viable. Quels sont les termes du bras de fer engagé par Athènes ?
Le nouveau gouvernement a deux exigences. La première est d’en finir avec la tutelle de la troïka, pour que le pays puisse retrouver sa souveraineté. La seconde est de pouvoir mettre en œuvre son plan d’urgence de 12 milliards d’euros – somme modeste au regard des centaines de milliards d’euros prêtées aux banques sans la moindre contrepartie – pour répondre à l’urgence sociale et relancer l’activité économique. Cela implique de réduire fortement le service de la dette, d’où la nécessité de la renégocier. Le gouvernement grec a raison de chercher un compromis au vu des rapports de force globaux et de l’état du pays. Toutefois, ce compromis n’est pas de nature économique, mais politique. L’essentiel de la dette est détenu par des créanciers publics. La BCE pourrait très bien, dans le cadre de son nouveau programme de rachat de titres de dettes publiques, acheter de la dette grecque, ce qui n’entraînerait aucune perte pour les créanciers qui, par ailleurs, se sont enrichis sur le dos du pays [^2]. Elle pourrait annuler ces créances sans aucun danger. En effet, une banque centrale ne court aucun risque financier puisqu’elle peut se refinancer elle-même en cas de problème, par création monétaire. En fait, la question est de savoir si les institutions européennes vont accepter qu’une expérience progressiste décidée démocratiquement puisse voir le jour en Europe. Il s’agit donc bien d’une question politique, qui renvoie à l’avenir de l’Europe.
L’euro est un château de cartes qui s’écroulerait si l’on en retirait la Grèce, a déclaré le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis…
Syriza s’est fait élire en promettant la fin de l’austérité, la fin de la troïka, et de rester dans l’euro. Dans son discours le soir des élections, Tsipras a clairement pointé que la victoire de Syriza était une victoire de tous les peuples d’Europe. Les traités européens et les directives qui en sont issues ont constitutionnalisé les politiques d’austérité afin d’empêcher tout débat démocratique réel, d’exclure de la décision citoyenne les politiques économiques et sociales, et de museler ainsi la souveraineté populaire. Les politiques économiques se réduisent à appliquer une série de normes. Or, la victoire de Syriza renoue avec l’idée que ce sont les êtres humains qui doivent décider de leur propre sort. La politique et la démocratie retrouvent droit de cité. Un succès de Syriza pourrait être porteur de contagion dans les autres pays européens. Des décennies de néolibéralisme pourraient s’effondrer sous l’aspiration à la démocratie. C’est cela qui est insupportable aux classes dirigeantes européennes, au-delà même des orientations de Syriza.
Peut-on envisager de sortir la Grèce de la zone euro ?
Les institutions européennes peuvent faire le pari qu’une sortie de la Grèce de la zone euro serait maîtrisable au vu du faible poids économique du pays, et en tout cas préférable au scénario cauchemardesque pour eux d’une éventuelle extension, notamment à l’Espagne. Cependant, cela remettrait en cause le dogme de l’irréversibilité de l’euro et personne ne peut aujourd’hui en prévoir les conséquences. Le choix qui risque de s’imposer au gouvernement grec est soit de renier ses engagements – ce qu’il n’a pas l’air de vouloir faire aujourd’hui –, soit d’être poussé à sortir de l’euro à partir du moment où le robinet des liquidités lui est coupé. Les dirigeants grecs l’ont bien compris et espèrent échapper à ce choix en se battant, à juste titre, pour un compromis. Une sortie de l’euro serait très dure pour le peuple grec et ne résoudrait immédiatement aucun problème économique. De plus, elle risquerait d’affaiblir politiquement Podemos. Mais cette solution serait préférable à un reniement des engagements qui serait dramatique tant pour le peuple grec, avec Aube dorée en embuscade, que pour tout projet progressiste en Europe.
[^2]: La Grèce a cependant obtenu depuis mars 2012 que les profits réalisés par la BCE sur les obligations d’État lui soient reversés.