« Syriza montre qu’on peut faire autrement »

Les propositions grecques sont une chance pour réorienter les politiques européennes, estiment plusieurs représentants de gauche.

Patrick Piro  et  Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 19 février 2015 abonné·es
« Syriza montre qu’on peut faire autrement »
© Photo : CITIZENSIDE/YANN BOHAC/AFP Portraits : - Pierre Laurent : AFP PHOTO / THOMAS SAMSON - Guillaume Balas : AFP PHOTO / JACQUES DEMARTHON - Jorge Lago : Dailymotion / Mediapart - Julien Bayou : AFP PHOTO / JACQUES DEMARTHON

Pierre Laurent,

secrétaire national du PCF, président du Parti de la gauche européenne

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La première réussite du gouvernement de Syriza est d’avoir fait respecter la voix de la Grèce sur la scène européenne. Tsipras s’appuie sur son programme, soutenu au Parlement, recueillant 83 % de satisfaits dans les sondages, et rassemblant des dizaines de milliers de Grecs sur les places. Il n’appliquera pas le mémorandum d’austérité au 28 février. Il propose un accord transitoire à ses partenaires, le temps de répondre aux urgences sociales élémentaires, de laisser respirer l’économie et d’assainir la vie publique. Cet accord est possible. Dans une Europe interdépendante et une zone euro intégrée, le fort a besoin du faible, et je crois que BCE comme chefs d’État doivent abandonner l’arrogance et la menace. C’est un débat politique européen fondamental qui est engagé, sur le respect de la démocratie et la poursuite, ou non, des politiques d’austérité. La position de la France risque de devenir un entre-deux intenable. On ne peut pas dire d’un côté : « L’austérité à tout jamais n’est une solution ni pour les Grecs, ni pour les autres », et de l’autre : « La Grèce doit tenir ses engagements », c’est-à-dire appliquer un plan d’austérité. C’est pour que la France tienne sa place aux côtés de Tsipras, dans l’intérêt aussi de notre propre pays, que les mobilisations doivent continuer de s’élargir et maintenir la pression en France. C’est un moment crucial pour l’Europe. Il ne faut pas sous-estimer le fort mouvement de sympathie qui existe dans les sociétés européennes pour la révolution démocratique grecque et l’aspiration majoritaire à la sortie de l’austérité.

Guillaume Balas,

député européen (PS), secrétaire général d’Un monde d’avance.

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Voici ce qu’il nous faut retenir de la victoire de Syriza : l’austérité généralisée en Europe est une impasse économique, sociale et humanitaire. La saignée budgétaire imposée par la troïka n’a en rien amélioré la situation du pays. Pire, elle a contribué à augmenter le chômage, à disloquer les protections collectives, à accroître la désespérance politique et sociale. Pourtant, là où certains ont préféré se tourner vers les obscurantismes, le peuple grec a décidé de porter les forces du progrès au pouvoir, donnant ainsi la possibilité à l’Europe de changer le cours des choses. Parce que l’hégémonie néolibérale se fissure un peu plus chaque jour sous les critiques lucides des citoyens et de certaines organisations internationales, les conditions d’un changement en Europe sont plus que jamais réunies. Mais cela suppose que les alliés de la Grèce, et en particulier la France, répondent présents à l’appel et participent de manière injonctive et urgente à la réorientation des politiques en Europe. Édifier l’arc des forces progressistes face à la droite européenne, rompre avec l’austérité et l’ordolibéralisme, défendre de manière inconditionnelle l’investissement pour relancer l’emploi et l’économie… La France doit être partie prenante dans cette bataille pour l’Europe politique, sociale, démocratique et écologique qu’attendent les concitoyens. La victoire de Syriza nous en offre l’opportunité. Prenons nos responsabilités et agissons, avec l’ensemble de la gauche européenne, pour assurer un avenir à l’Europe.

Jorge Lago,

membre de la direction nationale de Podemos, en Espagne, en charge de la culture et de la formation.

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Il est important de montrer qu’une partie de la population espagnole appuie le gouvernement grec dans ses négociations. Car, ce qui est en jeu, c’est le destin d’une autre politique économique et sociale en Europe : sortir de l’austérité, du paiement de la dette par des régressions sociales et des reculs de croissance dans les pays du Sud. La Grèce est le premier coin d’enfoncement. En lui manifestant notre appui, nous manifestons le désir et le besoin d’une autre politique dans toute l’Europe. L’accueil des dirigeants européens au gouvernement Tsipras a été moins froid qu’on pouvait le craindre il y a quelques semaines. Renzi et Hollande se sont sentis obligés de faire de petites grimaces sympathiques… Cela montre combien l’arrivée au pouvoir de Syriza met les gouvernements soi-disant sociaux-démocrates dans une situation inconfortable en montrant qu’il est possible de faire autrement et constitue un obstacle à la poursuite des politiques mises en place ces quatre dernières années. Quand Rajoy parle de la Grèce, c’est en réalité de l’Espagne qu’il parle. Il l’utilise pour essayer de montrer l’impossibilité de notre politique. Si, ce qui est probable, Tsipras et Varoufakis arrivent à atténuer les très dures mesures de la troïka et à conditionner le paiement de la dette à la croissance, Rajoy aura un problème. Cela montrera que l’on aurait pu s’épargner pas mal de mesures dramatiques pour l’Espagne. Tout son discours en serait remis en cause. Pour sauver sa peau en Espagne, il a besoin de montrer que Tsipras n’a pas d’autre choix que de payer la dette.

Julien Bayou,

porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts

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Par notre soutien à Syriza, nous appuyons une réorientation des politiques européennes. Alexis Tsipras tente de tenir la promesse de François Hollande : une renégociation des traités de l’Union qui corsètent tant ses politiques. C’est essentiel, car le sentiment pro-européen meurt des renoncements et d’une gestion technocratique sur fond de : « Il n’y a pas d’alternative. » Nous apprécions aussi que Tsipras voie la dette comme une affaire européenne et pas gréco-allemande. Bruxelles a changé. Fini la prédiction du chaos d’un Pierre Moscovici, commissaire à l’Économie, avant les élections grecques. Cependant, l’Union s’accroche aveuglément à des accords obsolètes, alors que les réformes imposées par la troïka ont échoué dans le soutien de l’économie grecque. En particulier, la pression exercée par la Banque centrale européenne est inacceptable. Une négociation est engagée par un gouvernement démocratique, elle doit se mener sans couteau sous la gorge. Il faut en finir avec l’idée qu’elle serait contraire aux intérêts français ou européens. Les propositions d’Athènes sont innovantes et intelligentes, et c’est l’intérêt de tous d’éviter le chaos, le vrai, qui guette si la Grèce fait défaut et qu’elle sort de l’Union. La position attentiste de la France suscite donc des regrets. Nous aurions tellement à gagner de cette négociation pour sortir de cette prétendue absence d’alternative. Par exemple, dans le cadre d’une conférence sur la dette, nous pourrions travailler à l’audit de nos engagements et à la réorientation du rôle de la BCE. Soutenir les revendications de la Grèce, c’est soutenir l’Union européenne et la possibilité d’autres politiques en France.

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