« Chelli », de Asaf Korman : Trouver sa place
Chelli, premier long métrage très tenu de l’Israélien Asaf Korman, raconte ce que signifie de vivre aux côtés d’une personne handicapée mentale.
dans l’hebdo N° 1343 Acheter ce numéro
Deux sœurs vivent ensemble. L’une, Gabby (Dana Ivgy), est handicapée mentale, l’autre, Chelli (Liron Ben Shlush), s’occupe d’elle. Il y avait de quoi se mettre plusieurs fois en échec avec un tel sujet. Le manque de maîtrise ( Chelli est un premier long métrage), le manque de distance (Liron Ben Shlush, qui a une sœur atteinte par le même handicap, a signé le scénario), le manque de tenue (le débordement de pathos menaçait). Chelli apporte la preuve que tous ces pièges peuvent être évités : ce film du réalisateur israélien Asaf Korman est une très belle surprise. Le duo des deux sœurs, dont la relation est faite de dépendance et de nécessité, semble a priori fermé sur lui-même. Tout, au début, indique cela. Par exemple : la caméra s’aventure peu à l’extérieur de l’appartement, lui-même petit, sombre, incommode. Ou bien : Chelli ne peut laisser seule sa sœur, pour aller à son travail, sans que celle-ci se frappe le haut du crâne jusqu’au sang. Ou encore : la proximité charnelle entre Gabby et Chelli, la nuit en particulier, où elles dorment côte à côte, souvent enlacées.
La question centrale du film est dès lors la suivante : ce duo quasi fusionnel peut-il laisser entrer dans son univers un corps étranger ? Autrement dit : quelle existence pour Chelli, sinon un dévouement incessant ? Quelle vie amoureuse ? Celle-ci l’espère, pourtant. Il faut voir avec quelle avidité, après un triste premier échange sexuel, digne de ceux qui n’en ont qu’une maigre expérience, elle vient embrasser par surprise Zohar (Yaakov Daniel Zada) dans les couloirs de l’école où il enseigne. Une idylle naît entre eux, que le film montre avec beaucoup de subtilité. Car, pour Zohar, il s’agit de trouver sa place. Y compris dans l’appartement de Gabby et Chelli, où celle-ci va lui demander de venir s’installer. La mise en scène est au cordeau, où chaque espace occupé dans l’appartement, et par là dans le cadre, a une signification sur la possibilité et l’élargissement de l’amour entre Chelli et Zohar. La chambre de Chelli, qui ne se servait plus de cette pièce que comme d’un débarras, redevient un lieu crucial, où la jeune femme se retrouve à l’épicentre d’un trio, entre Zohar qui la désire et veut dormir dans ses bras, et Gabby, habituée à la présence nocturne de Chelli, qui vient dormir près de leur lit durant la nuit. Dans ce jeu tout en tact et en précision, les trois comédiens sont remarquables, Dana Ivgy notamment, ne surjouant jamais son personnage de handicapée mentale. Le cinéaste les plonge dans des situations très réalistes, sinon naturalistes, mais parvient à faire respirer son récit grâce à des scènes presque légères, toujours très graphiques (avec des plans pris en hauteur), mais qui peuvent se terminer par une touche inquiétante (comme la scène de la baignoire). Ainsi, Chelli est certainement un film dur, mais jamais plombé par un misérabilisme ou une noirceur glauque.
Asaf Korman cherche bien davantage à mettre en tension son film par les moyens du cinéma – ce qui est évidemment beaucoup plus intéressant. Ainsi, à cause d’une inhabituelle position des unes et de l’autre au réveil, Chelli découvrant que Zohar s’est endormi près de Gabby, un sentiment de soupçon va la gagner, aux conséquences lourdes de menace. On a parlé d’Hitchcock ou de cinéma de genre à propos de Chelli, quand le film a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, l’an dernier. C’est moins dans le suspense que dans l’électrisation des plans que la référence n’est pas incongrue. Ce qui éclaire sur l’élégance pleine de vivacité de ce film risqué.
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