Christine Delphy : Portrait d’une femme en colère
Le documentaire de Florence et Sylvie Tissot consacré à Christine Delphy est une histoire moderne du féminisme.
dans l’hebdo N° 1343 Acheter ce numéro
Cela commence par une question impossible : « Être féministe, est-ce que cela rend plus heureuse ? » Et Christine Delphy répond à sa façon, avec cet humour qui n’est jamais complètement absent de son propos : « Il aurait fallu que je ne sois pas féministe pour pouvoir comparer. » Mais, visiblement, Christine Delphy ne croit pas trop au bonheur. « Je suis une femme en colère, dit-elle, et être en colère, ce n’est pas follement agréable. » Ainsi commence ce passionnant portrait de 52 minutes que Florence et Sylvie Tissot consacrent à la fondatrice des Nouvelles Questions féministes. Un documentaire d’ores et déjà programmé dans de nombreuses salles (voir ci-dessous).
Portrait de femme (« pour être féministe on n’en est pas moins femme », dit-elle… toujours l’humour), histoire de la genèse d’une pensée et d’un engagement, histoire tout court du mouvement féministe français : c’est tout cela à la fois, ce film, auquel les cinéastes ont donné le titre d’une phrase que Christine Delphy se souvient avoir prononcée il y a longtemps : « Je ne suis pas féministe, mais… » C’était avant qu’elle prenne pleinement conscience de la nécessité d’un engagement qui, avoue-t-elle, a donné un sens à sa vie. Et on se passionne pour cette histoire racontée avec simplicité, qui mêle un itinéraire intellectuel et une grande aventure collective qui a fait bouger notre société.
Le film est aussi l’occasion de revoir sur un plateau de télévision – c’était en 1985 – Simone de Beauvoir et la lumineuse Delphine Seyrig, racontant quelque chose que l’on sait peu : la façon dont la lutte des femmes pour le droit à l’avortement, celle du MLF et du « Manifeste des 343 », sera totalement oubliée au moment du débat sur la loi. Les femmes ont gagné, mais il ne faut pas le dire. Même Simone Veil efface de son célèbre discours à l’Assemblée toute référence à leur combat. Et quand il n’est pas gommé, il arrive que le féminisme soit instrumentalisé. Ce sera le cas à la fin des années 1980, quand surgira dans le débat public la question du voile islamique. Jusqu’à la fameuse loi d’interdiction de 2004. Le mouvement implose. Au nom du féminisme, des options violemment opposées s’affrontent.
Peut-être parce qu’elle est à la fois féministe et matérialiste, et que les deux sont pour elle indissociables, Christine Delphy ne se trompe pas de chemin. Elle est aux côtés des jeunes filles voilées. Elle est « féministe pour l’égalité » et se mobilise contre l’islamophobie, là où se croisent le combat des femmes, la lutte sociale et l’anticolonialisme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette bataille-là n’est pas finie. « Le féminisme, dit-elle, n’a pas de chemin tracé d’avance. On s’attaque à une question et on en découvre une autre. » Mais quelle que soit l’âpreté du combat, la violence des coups reçus – et elle n’a pas été épargnée –, Christine Delphy conserve toujours cette pointe faussement innocente d’autodérision. Et quand ce n’est pas dans le verbe, c’est dans le regard. Elle en donne plusieurs preuves tout au long de ce portrait chaleureux. Dans l’un des derniers plans, la sociologue a ce jugement aimablement provocateur sur un film dont elle est le sujet : « Ce ne sont que des intellectuelles qui donnent leur avis. » Si ce n’était que cela, ce ne serait déjà pas si mal. Mais ce n’est pas que cela. Car l’intellectuelle Christine Delphy n’a jamais cessé d’être en même temps une femme engagée et une militante.
Rencontres autour du film
Des projections de Je ne suis pas féministe, mais… sont organisées, suivies de débats avec les réalisatrices.
– 6 mars, à 19 h, salle Carré de Baudouin, 121, rue de Ménilmontant, Paris XXe.
– 8 mars, à 15 h, Maison de quartier Vauban-Esquermes,
77, rue Philippe-Laurent-Roland, à Lille.
– 12 mars, à 20 h, cinéma Luminor,
20, rue du Temple, Paris IVe, avec Christine Delphy.
– 14 mars, à 16 h 30, Festival de films de femmes, place Salvador-Allende, à Créteil (94),avec Christine Delphy.