Continuité énergétique
Pourquoi ne pas mener des transitions énergétiques territoriales ?
dans l’hebdo N° 1343 Acheter ce numéro
Une loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ? Encore un oxymore, et un numéro d’équilibriste qui risque bien d’échouer dans les filets. On pourra certes accuser le Sénat d’avoir torpillé le travail effectué dans le cadre du débat national sur la transition énergétique : suppression de l’échéance pour le passage de 75 % du nucléaire dans la production électrique à 50 % ; inclusion de l’EPR de Flamanville dans le plafonnement de la capacité nucléaire ; remise en cause de la baisse de 20 % de la consommation finale d’énergie en 2030 ; suppression de l’obligation de plans de déplacement pour les entreprises de plus de cent salariés. Et tant pis si les coûts de production de l’électricité nucléaire augmentent fortement, comme le révèle le rapport de la Cour des comptes de 2014, tant pis si la facture électrique des ménages augmente de 50 % entre 2012 et 2020, selon la commission du Sénat sur le coût réel de l’électricité [^2].
Un progrès notable figurait pourtant dans le projet de loi initial : la transition énergétique devait partir de la maîtrise de la demande et non de l’offre des entreprises de l’énergie. Or, réduire la consommation d’énergie s’accommode mal avec la croissance, quelle que soit sa couleur. C’est pourquoi, dans le projet de loi, il est plus question d’ efficacité énergétique, nouvelle frontière de l’économie verte, que de sobriété énergétique, alors que les deux devraient être combinées. Cette continuité énergétique est insuffisante pour donner le souffle nécessaire aux négociations climatiques de décembre 2015. Un signal fort est attendu. Il est encore temps. Le projet de loi propose une réduction de 30 % de la consommation des énergies fossiles d’ici à 2030. L’objectif est certes maigre quand on sait que 80 % des réserves connues de pétrole, de gaz et de charbon devraient rester sous le sol pour que nous ayons une chance de maintenir le réchauffement climatique global en dessous de 2 °C.
Mais, puisque pragmatisme et transparence sont sur toutes les lèvres, il serait du devoir du gouvernement d’informer les citoyens que le Fonds de réserve pour les retraites, fonds d’investissement public mis en place pour assurer la pérennité du régime de retraites, détient des investissements directs dans 60 des 100 premières entreprises mondiales du secteur pétrolier et gazier, et dans 21 des 100 premières entreprises mondiales de charbon [^3].
Pourquoi ne pas suivre les nombreuses collectivités locales et autres institutions engagées dans un désinvestissement des énergies fossiles ? Et désengager ce fonds public de Total, ENI, Glencore, GDF Suez, ExxonMobil, BHP Billiton, Rio Tinto, BASF, Repsol et Shell ? Pourquoi ne pas réorienter ces financements vers des projets décentralisés, coopératifs, et mener des transitions énergétiques territoriales, créatrices d’emploi et assurant l’accès aux services énergétiques ? Pourquoi ne pas permettre l’extension de la municipalisation de l’énergie, assurant une priorité aux énergies renouvelables et une autonomie par rapport aux stratégies des grands groupes, publics ou privés, gestionnaires de la production et des réseaux ?
[^2]: « Commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité », Sénat, 2012.
[^3]: « Fonds de réserve pour les retraites et énergies fossiles : des investissements aux dépens des générations futures ? », rapport de 350 organisations.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.