Départementales. Glissement à droite : à qui la faute ?

La défaite électorale du PS au premier tour des départementales désavoue la politique du gouvernement. Les électeurs de gauche continuent de bouder les urnes, laissant le champ libre à l’UMP et au FN.

Michel Soudais  • 26 mars 2015 abonné·es
Départementales. Glissement à droite : à qui la faute ?
© Photo : AFP PHOTO / ALAIN JOCARD

C’est mieux que si c’était pire. Une fois de plus, les partisans de François Hollande, qu’ils soient au gouvernement, membres du Parti socialiste ou de l’un de ses satellites, ont trouvé matière à se rassurer dès la fermeture des bureaux de vote. Même Benoît Hamon, sur le plateau de France 2, ne voyait pas cette fois ce qui pouvait conduire à interpréter ce scrutin comme une « sanction ». Il est vrai qu’une présentation particulièrement tendancieuse pouvait sauver les apparences, le temps d’une soirée (voir Un tripatouillage très politique). C’est pourtant une tout autre lecture qui se dégage de l’examen des résultats réels. Le total « gauche » (entendu dans toutes ses composantes) atteint tout juste 36,8 %, quasiment à égalité avec le total « droite » (36,6 %), ce qui signe, selon l’ancien député européen PS Olivier Duhamel, « le plus mauvais score de la gauche aux élections cantonales depuis 1945 ». En divisant la gauche avec sa politique, le gouvernement la met à son plus bas score. Selon le secrétaire national du PS, la « gauche » ne sera pas représentée dimanche prochain dans 524 cantons, une situation imputable selon lui à sa division dans un peu moins de la moitié d’entre eux, soit 256.

C’est le PS qui recule le plus fortement : avec un score national de 21,5 %, il perd cinq points par rapport à 2011 et n’a jamais été aussi proche de son plus bas score historique de 1992, qui était de 19,01 %. Surtout, il est éliminé du second tour dans 516 cantons, soit près d’un quart. Ce recul est particulièrement cinglant dans le Nord, où, avec 21,5 % en moyenne, les socialistes sont éliminés dans 27 des 41 cantons, ce qui se traduira dimanche prochain par le passage à droite du département. Et ce ne sera pas le seul. Le secrétaire national aux élections du PS, déclarant que la gauche n’est assurée de n’en conserver qu’une vingtaine sur les 61 qu’elle gère. Dans ce contexte calamiteux, l’autre gauche résiste. Le Front de gauche reste au niveau global des précédents scrutins. Et s’il perd du terrain dans les anciennes places fortes communistes, il enregistre « des poussées souvent sensibles dans les zones de faible implantation initiale », observe l’historien Roger Martelli. Le constat de stabilité vaut également pour les candidatures autonomes EELV, tandis que les alliances entre Front de gauche et EELV obtiennent des résultats prometteurs (voir Un tripatouillage très politique). Le bloc UMP-UDI et divers droite a toutefois toutes les chances d’être, dimanche, le vainqueur du scrutin. La droite est bien placée pour prendre à la gauche au moins une vingtaine de départements et conserver la quarantaine qu’elle détient sans concéder aucune perte. Unie dans 1 285 des 2 054 cantons – quand la gauche n’était représentée que par un seul binôme dans 433 d’entre eux –, elle progresse par rapport à 2011 (31,8 %), mais sans retrouver son niveau de 2008 (40,7 %), car concurrencée désormais par le Front national. Le parti de Marine Le Pen est incontestablement le grand vainqueur du premier tour. Avec 25,25 %, un niveau jamais atteint dans aucune autre élection auparavant, l’extrême droite améliore son score des européennes en pourcentage (24,86 %), mais aussi en nombre de voix (5,1 millions contre 4,7 millions). Arrivé en tête dans 43 départements, le FN sera présent au second tour dans près de trois cantons sur cinq. Ce qui traduit un rééquilibrage géographique et sociologique de son électorat qui lui permet de s’imposer comme un acteur incontournable de second tour. Et d’envisager de remporter un ou plusieurs départements.

Avec une participation électorale d’à peine un électeur sur deux, l’abstention (49,82 %) constitue l’autre grande donnée du scrutin. Dimanche soir, la surprise a été qu’elle soit moins importante qu’initialement annoncée dans les sondages, et finalement en recul par rapport à l’abstention enregistrée au premier tour des cantonales de 2011 (55,7 %). L’abstention mesurée dimanche n’en reste pas moins très supérieure à ce qu’elle était lors des cantonales des années 1990 et 2000, où elle oscillait entre 35 et 40 %. On mesure là l’échec du redécoupage des cantons et d’un nouveau mode de « scrutin majoritaire plurinominal paritaire ». Et sans doute aussi l’incompréhension et les doutes de citoyens appelés à voter pour des représentants dont les compétences ne seront réellement connues que cet été. Quant au tripartisme, loin de susciter un sursaut civique, il s’accompagne d’un accroissement conséquent du nombre de votes blancs et nuls : 2,46 % des inscrits, contre 1,3 % en 2011.

Sociologiquement, c’est dans les bureaux de vote des quartiers populaires que l’abstention est la plus forte. Dans le Val-de-Marne, elle est de 49 % dans le très bourgeois canton de Saint-Maur-des-Fossés-1, mais elle grimpe à 60 % à Villejuif, et 60,4 % à Vitry-sur-Seine-1. Sans épargner Évry, dans l’Essonne. Dans la ville de Manuel Valls, 62,8 % des électeurs ne se sont pas déplacés, relativisant la prétention du Premier ministre à se poser en moteur d’une remobilisation civique. Dans le Val-d’Oise, second département abstentionniste de France, elle atteint des sommets à Sarcelles et à Villiers-le-Bel (70 % et 73,6 %). Et c’est dans le département de Seine-Saint-Denis, le plus pauvre de France, que la participation électorale est la plus faible (63,18 % d’abstention). Politiquement, l’Ifop constate, dans une enquête d’opinion réalisée le jour du scrutin, que c’est parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle que l’abstention a été la plus forte (56 %), suivis par ceux de François Hollande (44 %). En revanche, toujours selon l’Ifop, les électorats des droites se sont davantage mobilisés (respectivement 39 % et 41 % d’abstentionnistes dans les électorats de Nicolas Sarkozy et de Marine Le Pen). Il est vrai qu’en affirmant à plusieurs reprises qu’il n’y aurait ni changement de ligne politique ni changement de Premier ministre, François Hollande et Manuel Valls n’ont pas favorisé la mobilisation de l’électorat de gauche. Autant de données qui autorisent à interpréter l’abstention comme une sanction de la politique du gouvernement.

Politique
Temps de lecture : 5 minutes