Détruire pour reconquérir (« À flux détendu »)
Que peut-on éprouver devant le saccage des œuvres antiques du musée de Mossoul et du site de Ninive, en Irak, opéré par l’État islamique ?
dans l’hebdo N° 1343 Acheter ce numéro
Que peut-on éprouver devant le saccage des œuvres antiques du musée de Mossoul et du site de Ninive, en Irak, opéré par l’État islamique ? De l’effroi, du dégoût, et ce sentiment de perte définitive – car il semble qu’il ne figurait qu’une seule copie parmi les statues exposées, contrairement à ce que certains commentateurs plus optimistes ont affirmé. Ces hommes que l’on voit sur la vidéo mise en ligne par les jihadistes le 26 février, armés de masses, de perceuses ou de marteaux-piqueurs, commettent des meurtres symboliques. Ils suppriment une seconde fois des civilisations disparues, l’Assyrienne (IX-VIIe siècle avant J.-C.) pour le taureau ailé à tête humaine sur le site de Ninive, celle d’un royaume arabe de l’Empire parthe du début de notre ère pour les statues du musée. Ils nous coupent plus profondément encore de ceux qui nous ont précédés dans l’immense chaîne humaine qui se déploie par-delà les âges et qui, en Mésopotamie, ont fécondé tant de cultures. Mais un autre sentiment vient, à la lecture d’une interview d’un historien de l’islam médiéval, Gabriel Martinez-Gros, dans le Monde des 1er et 2 mars : le vertige. Rien de nihiliste chez les jihadistes, prévient-il. Mais une « agressivité particulière à l’égard d’un passé qui n’est pas ressenti comme le leur ». Et l’historien d’expliquer. Ils ont en haine ces témoignages d’un passé pré-islamique sur ces terres parce que ce sont les Anglais qui les ont exhumés au XIXe siècle. Si bien que ce qui apparaît « pour nous » comme une destruction barbare « est pour eux une réaffirmation de l’islam sur son territoire et une forme de revanche sur deux siècles d’histoire du monde telle que l’Europe l’a construite ». Une « revanche » plus radicale et plus minoritaire que celle des nazis, dit-il, et au goût de reconquête : « Il s’agit de reconquérir un passé, des références, une langue. » Terribles actes de « reconstruction ».
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