La mauvaise note de Le Guen
La montée du FN est d’abord une question politique et sociale. Une manifestation de désespoir en l’absence d’alternatives au libéralisme.
dans l’hebdo N° 1344 Acheter ce numéro
Si on en croit Manuel Valls, Marine Le Pen serait donc aux portes de l’Élysée, prête à donner l’assaut ultime. Et pas après-demain, en 2027, ni même en 2022, mais en 2017. Exagération ? Sans nul doute. Tentative désespérée à deux semaines des départementales pour mobiliser un électorat qui se détourne ? À l’évidence. Mais on ne reprochera pas au Premier ministre cette soudaine dramatisation, qui est de bonne guerre. Ce qui est plus choquant dans ce discours, c’est l’analyse des causes et la désignation des coupables : nous tous, électeurs de gauche, avachis, résignés, anesthésiés par « l’accoutumance », et frappés d’ « endormissement ». Et que dire des « intellectuels », ces « grandes consciences » qui rechignent à « monter au créneau » ? On ne sait pas trop qui est digne de cette labellisation, hormis Michel Onfray, pris à partie nommément, mais qu’importe.
L’interpellation est évidemment ridicule. Elle est surtout révélatrice d’un grand désarroi. Il y a bien longtemps en effet que tout le monde a compris que le Front national ne serait pas vaincu à coups de dénonciations, et d’objurgations. Nous ne sommes plus au temps de la splendeur de SOS-Racisme. Sans compter que Marine Le Pen prend soin de ne pas trop s’exposer aux leçons de morale. Même si son vieux père lui donne toujours du fil à retordre, et si quelques candidats locaux laissent entrevoir la face la plus nauséabonde du parti d’extrême droite. Bref, en un mot comme en cent, la « montée du Front national », c’est d’abord une question politique et sociale. Une manifestation de désespoir en l’absence d’alternatives à un libéralisme aussi obstinément défendu par M. Hollande que par son prédécesseur à l’Élysée. Aujourd’hui, tout le monde le sait. Sauf, semble-t-il, Manuel Valls. Quoiqu’il ait laissé échapper de son vibrant « appel de Boisseuil » (Haute-Vienne) un étrange « où est la gauche ? », comme une question en abyme qu’il s’adresserait à lui-même.
Mais si on excepte ce soliloque, on note que tout le discours est construit autour d’un seul objectif : dépolitiser la question du Front national. Éviter à toute force que l’on aille rechercher les causes de la progression du parti de Marine Le Pen – d’ailleurs très relative – dans la politique du gouvernement. Nier le désappointement de l’électorat de gauche. Gommer les leçons d’une politique économique qui s’est inscrite d’emblée dans la continuité du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ne pas avouer que le mortel slogan « UMPS » a fait des ravages. Quant aux intellectuels, dieu merci, ils ne forment pas une corporation homogène. Et beaucoup d’entre eux aujourd’hui sont « atterrés », comme les économistes du même nom. Que pourraient-ils encore dire qui soit doux aux oreilles de Manuel Valls ? Ou à celles de Jean-Marie Le Guen, qui vient de se fendre d’une note pour la Fondation Jean-Jaurès sur le thème : « Front national, le combat prioritaire de la gauche » ? Parlons-en justement de cette note. Elle n’est pas inintéressante. Destinée à des cercles limités, elle sert d’argumentaire aux cadres du parti. La faible audience à laquelle elle est condamnée permet au secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement de dire ouvertement ce que Manuel Valls suggère par omission. Il balaie ainsi d’un revers de main, et sur le ton de l’évidence, la responsabilité du gouvernement auquel il appartient : le Front national, dit-il, « n’est pas un produit de circonstance. Ce n’est pas – ou pas seulement, ce serait trop facile – la conséquence de la “mal-politique” , de gauche et de droite ». Jean-Marie Le Guen n’a pas complètement tort. Le FN n’est pas un « produit de circonstance ». Mais son audience, en revanche, si. Un FN à 10 % et un FN à 30 %, ce n’est pas la même chose. Et nul ne croit plus que nos concitoyens qui vont dans cette impasse redoutable sont des fascistes qui s’ignorent. D’autant que c’est moins le FN qui monte que le PS qui s’effondre. Alors quoi ? L’auteur de la note ne sait pas trop, mais ce dont il veut convaincre les Français, c’est que l’on doit cesser de ne voir là « que le produit d’une causalité économique et sociale ». Personne n’a dit que ce n’était « que » cela, mais c’est cela aussi et cela surtout. Le reconnaître serait évidemment pointer du doigt la politique sociale du gouvernement, et le manquement aux promesses de campagne. Des promesses abandonnées auxquelles Jean-Marie Le Guen fait allusion lorsqu’il parle de cette « fonction tribunitienne » que « la gauche ne peut plus remplir lorsqu’elle gouverne ».
Et il y a plus fâcheux encore. Ce proche de Manuel Valls n’hésite pas à reprendre à son compte le slogan « UMPS » qui fait le bonheur du FN. Car, dit-il, « le soi-disant UMPS, c’est la République ». Ce qui n’est d’abord pas très aimable pour les autres – les écolos, le Front de gauche, les centristes – exclus d’un coup d’une République réduite à l’alliance des deux principaux partis de droite et de gauche. D’autant que Jean-Marie Le Guen, un peu plus loin, met les points sur les « i » : « Aujourd’hui, dit-il, c’est le socialisme qui doit se mettre au service de la République. » Une République, synonyme d’UMPS… Heureusement, peu de nos concitoyens liront la note de M. Le Guen. Elle n’est pas loin de faire un excellent plaidoyer pour Marine Le Pen.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.