« les Chebabs de Yarmouk », d’Axel Salvatori-Sinz : Palestine fiction

Dans les Chebabs de Yarmouk, Axel Salvatori-Sinz suit des jeunes du camp palestinien de Damas.

Ingrid Merckx  • 19 mars 2015 abonné·es
« les Chebabs de Yarmouk », d’Axel Salvatori-Sinz : Palestine fiction
Les Chebabs de Yarmouk Axel Salvatori-Sinz, 1 h 18.
© DR

Le service militaire dans l’armée de libération de la Palestine, c’est un passage obligé pour tout Palestinien. Même en exil. Même à Damas. « Mais quelle libération ? », lance un des jeunes de cette bande. La libération était le rêve de leurs parents. Nés dans ce camp, ils n’ont jamais vu la Palestine. C’est leur origine, leur culture, leur langue, leur idéal peut-être, mais leur fiction aussi. Comment rêvent-ils de ce fantôme ? Comment vivent-ils avec ? De quelle manière les hante-t-il ? Pays fantôme, citoyenneté fantôme, avenir fantôme…

C’est ce qu’Axel Salvatori-Sinz tente de capter dans un jeu subtil d’alternance entre intérieurs et extérieurs. En plans fixes : salons dont les fenêtres ouvrent sur les toits du camp et terrasses donnant sur une forêt d’antennes satellite. Du bâti, en parpaing brut, mais sur plusieurs étages : pour quiconque n’a jamais vu un camp palestinien, Yarmouk ressemble plus à une cité pauvre dans un pays chaud qu’à des kilomètres de tentes. Du provisoire qui s’est installé et grimpe d’étage en étage. Un quartier de Damas, où ces jeunes ont grandi. Ces garçons, torse nu ou en tee-shirt de sport, ces filles – très belles – discutent cinéma, théâtre, mise en scène et diplômes sans que l’on sache ce qu’il en est de leurs parcours ni de quoi ils vivent. Le documentariste les saisit à un moment de leur existence où ils ne sont pas lancés dans leur vie professionnelle. Étudiants dirait-on, si l’on n’ignorait tout des conditions dans lesquelles ils peuvent faire des études, et s’ils ne les prolongeaient pas indéfiniment pour s’éviter les 18 mois de service. Mais ils repoussent jusqu’à la dernière limite, discutant des heures de la meilleure combine. Quand le départ est inéluctable, ils se rasent la tête et plaisantent en treillis. Le film les attrape à différents moments. De l’armée, ils ne parlent pas. Mais plutôt de ce que ce service cristallise de non-sens dans leur vie. Et ils sont là, à lire devant la caméra des poèmes qu’ils ont écrits sur ce que signifie Yarmouk, cet endroit qu’ils ont tant voulu fuir et auquel ils restent tant attachés.

Ce camp, construit en 1957, dont ils ignoraient qu’il serait détruit peu après le tournage [^2]. Ce non-lieu devenu le lieu lui-même. Sorte de ghetto que la caméra visite à peine, qui les étrangle de son vide, où l’on se tient devant des encadrures de portes ou de fenêtres gardées par des tissus qui ondulent lentement. Cet espace qui les rassemble et les relie, avant la dispersion.

[^2]: Rallié à la révolution, Yarmouk a notamment subi en 2013 et 2014 le blocus des forces syriennes, provoquant une terrible famine.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes