Percée de la campagne BDS dans les universités américaines
ENTRETIEN. La campagne Boycott, Désinvestissement, Sanction à l’encontre d’Israël rencontre un écho croissant aux Etats-Unis, nous explique le journaliste américain Max Blumenthal.
Le journaliste américain Max Blumenthal, qui prépare actuellement un documentaire sur la situation à Gaza dont la sortie est prévue en juillet, est très engagé dans la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanction à l’encontre d’Israël. Il en dresse un premier bilan pour Politis.
Quel est l’écho du mouvement BDS outre atlantique ?
Max Blumenthal : Le mouvement BDS est très bien implanté dans plusieurs campus universitaires, et particulièrement dans les zones géographiques présentant une forte diversité culturelle telle que la Californie. L’Université de Californie, qui compte le plus vaste réseau universitaire publique au Etats-Unis, a d’ailleurs voté une résolution de Boycott contre les compagnies, israéliennes et étrangères, impliquées dans des violations des droits de l’Homme dans les territoires occupés. L’Université de Stanford, considérée comme l’une des meilleures au niveau mondial, a également voté une résolution similaire à une majorité écrasante de neuf voix contre une. C’est très symptomatique d’une évolution culturelle et politique profonde. Les nouvelles générations d’Arabes américains ont une plus grande maitrise du système américain et ont une plus grande influence. Du côté des médias, cette évolution est aussi perceptible. La couverture médiatique américaine de la récente attaque contre Gaza a, pour la première fois, rendu compte de la violence de l’attaque israélienne. Cela est dû au travail précis et documenté de personnes tel que Ayman Mohyeldin, reporter à NBC, qui a notamment couvert le meurtre des quatre enfants tués sur une plage de Gaza et l’assassinat ciblé de Salem Shamali par l’armée israélienne. Cette évolution est aussi la conséquence du passage à internet et aux réseaux sociaux de journalistes engagés qui leur donnent une plus grande liberté d’action dans leur soutien au boycott.
Cependant, le mouvement BDS n’a pas encore obtenu de résultats concluants auprès de l’administration américaine, ni d’effets sur la stratégie des grandes compagnies pro-israéliennes. Mais l’on voit tout de même une mobilisation populaire sans précédent parmi les jeunes Américains en faveur de ces initiatives.
L’opinion de nombreux juifs américains est, elleaussi, en train de changer. Cette évolution est particulièrement perceptible chez les jeunes juifs libéraux ayant un haut niveau d’éducation.
La campagne de Boycott a-t-elle eu des conséquences sur l’activité des compagnies israéliennes sur le sol américain ?
L’organisation Jewish Voice for Peace, a incité le TIAA-CREF (entreprise américaine d’assurance et de Fonds de placement) et plusieurs autres actionnaires, à stopper leurs investissements dans des entreprises impliquées dans l’occupation de la Cisjordanie, comme Motorola. Le Jewish Voice for Peace organise aussi des rencontres avec des chefs syndicaux sur le thème du désinvestissement et a récemment lancé une campagne de lobbying auprès des parlementaires à Washington qui a convaincu, entre autres, cinquante cinq députés démocrates de ne pas assister au discours du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou devant le Congrès, le 3 mars. On voit donc un réel impact économique mais qui reste néanmoins relatif. Le plus grand succès de la campagne, qui a été de faire chuter le cours des actions de l’entreprise israélienne Soda Stream, aurait tout aussi bien pu être le résultat d’autres facteurs extérieurs.
C’est à la suite de la campagne publicitaire de Soda Stream qui avait fait appel à l’actrice Scarlett Johansson…
Exactement ! Scarlett Johansson a vraiment été un cadeau du ciel pour le mouvement BDS ! Cela a montré l’absence de réel soutien au lobby pro-israélien à Hollywood, mis à part quelques personnalités marginales, telle Joan Rivers qui a tenu des propos polémiques vis-à-vis des Palestiniens. Le lobby se contente d’acheter des célébrités, alors qu’il a disposé par le passé d’un soutien important au sein de l’industrie du divertissement. On peut citer le cas de Barbara Streisand, fervente pro-israélienne, qui était alors très populaire.
Le soutien à Israël se fait dorénavant dans les coulisses, en privé, parce que c’est devenu gênant. Le maire progressite newyorkais, Bill de Blasio, a déclaré lors d’une rencontre secrète avec les membres de l’AIPAC (principal lobby pro-israélien aux Etats-Unis) que son rôle en tant que maire, est de défendre la sécurité d’Israël. Si ses liens avec Israël sont si étroits, pourquoi ne le dit-il pas ouvertement ? Parce que soutenir Israël est devenu embarrassant. Les citoyens américains sont frustrés, et plus particulièrement les étudiants qui sont pour la plupart endettés alors que l’Etat donne chaque année des sommes astronomiques à Israël. Ils se sentent impuissants face à la politique de leur gouvernement et n’ont pas la possibilité de donner leur opinion.
Vous dites qu’il y a une volonté au sein de la population américaine de traiter la relation avec Israël comme une question de politique étrangère et non de politique intérieur…
Bien sûr ! La question de la relation privilégiée avec Israël n’est pas de savoir qu’elle est l’intérêt américain dans le soutien à cet Etat ou de savoir en quoi elle s’inscrit pertinemment dans la politique étrangère des Etats-Unis mais elle a pour unique but de s’assurer le soutien financier et politique de la communauté juive américaine. On connaît la raison du silence de Washington au sujet des violations des droit humains en Arabie Saoudite qui est de ne pas s’aliéner un allié économique et stratégique important. Mais quelles sont les raisons derrière le silence américain face aux violations explicites du droit international par Israël, mis à part les remords de l’Holocauste et la rhétorique biblique?
Quelle est l’opinion générale de la communauté juive sur les relations israélo-américaines ?
La majorité des juifs américains soutiennent Israël, mais une grande partie d’entre eux ne le considèrent pas comme un Etat mais comme un idéal. Les jeunes juifs appartiennent en majorité au courant libéral du judaïsme. Ils ont un niveau d’éducation élevé et ne sont affiliés à aucune institution religieuse ou synagogue. Ils adhèrent généralement au multiculturalisme et sont antiracistes. Maintenant, la question est de savoir qui sera en mesure d’attirer leur attention et leur sympathie. Il y a des initiatives sionistes, comme celui du Birthright Israel qui finance des voyages en Israël pour les jeunes juifs américains. Le lobby pro-israélien fait en sorte que les voix dissidentes au sein de la communauté, comme le Jewish Voice for Peace, ne puissent pas avoir accès à cette jeunesse. Ils utilisent systématiquement l’argumentaire de l’antisémitisme pour discréditer les juifs critiquant la politique israélienne.
J’ai été moi même taxé à plusieurs reprises d’antisémitisme.
J’ai tout de même des doutes sur l’efficacité de cette stratégie. Lorsque je visite les campus universitaires, je rencontre des étudiants, qui faisaient parti du mouvement de la jeunesse sioniste libérale, qui ont fait defection pour adhérer au Jewish Voice for Peace. Lors de la guerre contre Gaza, de jeunes juifs américains ont fondé le groupe If Not Now… (Si ce n’est pas maintenant…) et ont organisé des sit-in face à l’ambassade israélienne à Washington et d’autres institutions sionistes lors desquels plusieurs se sont fait arrêter.
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