Pôle emploi : 500 000 victimes de leurs droits

Des milliers de chômeurs font les frais du régime des droits rechargeables, mis en place en octobre 2014. Au point que syndicats et patronats doivent discuter d’une révision de la mesure phare de la convention d’assurance chômage.

Thierry Brun  et  Charles Thiefaine  • 2 mars 2015
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Pôle emploi : 500 000 victimes de leurs droits
© Photo : PHILIPPE HUGUEN / AFP

Quatre mois après sa mise en œuvre, le nouveau régime des droits rechargeables mis en place par l’assurance chômage a des effets catastrophiques pour les demandeurs d’emploi. La mesure phare du gouvernement adoptée dans la loi de sécurisation de l’emploi puis présentée comme une avancée dans la très controversée convention d’assurance chômage, signée par la CFDT, FO et CFTC, n’a cessé d’être critiquée, notamment par la CGT et les associations de chômeurs, depuis sa mise en place en octobre 2014.

Plusieurs études leur donnent raison : en janvier, une note de l’Unedic, organisme de Pôle emploi, gestionnaire de l’assurance chômage, indique que les «droits rechargeables» lèsent 30 000 chômeurs par an, qui touchent temporairement une indemnité inférieure à celle qu’ils auraient touchée sous l’ancien régime d’assurance chômage. En moyenne, cela représente pour les chômeurs un manque à gagner d’environ 500 euros par mois, jusqu’à épuisement de leurs anciens droits, selon la note de l’Unedic.

«30 000, c’est très réducteur» , estime Denis Gravouil, secrétaire général de la fédération CGT-Spectacle. De son côté, la CGT brandit une autre note de l’Unedic, parue en juin 2014, selon laquelle 500 000 demandeurs d’emploi seraient concernés. Les permanences associatives et les collectifs locaux «sont submergés d’appels, de messages, de visites auxquels nous devons faire face. Ces débordements révèlent une situation bien plus dramatique que le chiffre communiqué par l’Unedic» , témoigne une Coordination nationale des permanences d’accueil juridiques contentieux.

Des indemnisations calculées sur les anciens droits, une pénalisation des chômeurs

Avant la nouvelle convention d’assurance chômage, une procédure de «réadmission» des droits était en place, explique le syndicat. Les droits ouverts étaient calculés en fonction de l’indemnisation la plus favorable. Mais depuis la mise en place des droits rechargeables, un allocataire retrouvant un emploi mieux payé «doit attendre que ses droits initiaux soient expirés pour accéder à ses nouveaux droits lorsqu’il se réinscrit au chômage» , explique Éric Aubin, secrétaire confédéral de la CGT, en charge de l’Assurance chômage. Les indemnisations versées aux demandeurs d’emplois sont calculées sur les anciens droits tant qu’ils n’ont pas été écoulés. Ce qui les pénalise.

«Les principales victimes sont les femmes, les jeunes diplômés, les intérimaires, et les intermittents du spectacle» , constate Éric Aubin. Une jeune femme explique qu’elle est inscrite à Pôle emploi depuis le 1er janvier après un contrat de trois ans dans la fonction publique : «Mon salaire était de 1 450 euros net par mois. Avant cet emploi, j’occupais un contrat unique d’insertion à temps partiel. Quelle horreur de découvrir que le montant de mon indemnité est calculé sur cet ancien emploi !» , explose la jeune femme.

«Je touche désormais 750 euros maximum d’indemnités mensuelle, soit la moitié de mes revenus. Et ces droits sont ouverts pendant 609 jours ! Or ma situation a changé en trois ans. J’ai un enfant de 8 mois et un loyer de 560 euros. Comment vivre avec 190 euros par mois ? J’ai 34 ans et je vais devoir retourner vivre chez ma mère alors que j’ai travaillé et cotisé. Chercher un emploi n’est absolument pas possible car je ne peux pas m’offrir une garde d’enfant…» , explique-t-elle.

Le nouveau régime lèse particulièrement les premiers demandeurs d’emplois alors qu’ils sont dans une situation précaire. Ainsi une thésarde qui a décroché son premier CDD se retrouve dans une impasse :

«Mes droits à l’époque avaient été ouverts uniquement pour me permettre de soutenir ma thèse et pour très peu de temps. Il faudrait aujourd’hui, après avoir travaillé pendant trois ans, que je perçoive une allocation calculée sur un salaire d’étudiant. Cela constitue une perte importante chaque mois. Je suis un peu désespérée. J’ai fait des études très longues et aujourd’hui j’ai l’impression d’être pénalisée pour celles-ci.»

De «vraies négociations» ?

L’Unedic reconnaît dans ses notes que «verser systématiquement le reliquat de droit plutôt que l’allocation la plus élevée se traduit par une baisse de l’allocation pour environ 500 000 allocataires» . Surtout, la mesure phare du gouvernement décourage les chômeurs dans leur recherche d’emploi et les incite à accepter des petits boulots, et même à ne pas déclarer leur boulot le temps d’épuiser leurs anciens droits. Ces effets auraient pu être anticipés : «On a combattu cette nouvelle convention d’assurance chômage adoptée le 22 mars 2014. Et on a montré que 3 personnes sur 4 serait pénalisées» , explique Denis Gravouil. «Encore faut-il qu’il y ait de vraies négociations. On nous a présenté cette convention d’assurance chômage sans qu’il y ait de vérifications» , critique Éric Aubin.

Pour la CGT, «les droits rechargeables non épuisables depuis le 1er octobre, générent des économies considérables sur le dos des seuls privés d’emploi indemnisés» , au point que syndicats et patronat doivent se retrouver le 3 mars dans les locaux du Medef pour discuter de leurs effets indésirables. La coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France a prévu le même jour une «journée d’information et d’action contre l’Unedic et le dispositif des droits rechargeables» . La CGT compte proposer de «remettre en place le principe de la réadmission, avec effet rétroactif au 1er octobre» , tout en conservant le principe des droits rechargeables. En clair, les demandeurs d’emploi toucheraient leur droit le plus élevé pendant toute la période d’indemnisation.

Autre proposition mise sur la table des négociations : «élargir le droit d’option, déjà existant pour les apprentis, à tous les demandeurs d’emploi» . Les anciens apprentis peuvent déjà renoncer aux droits acquis pendant leur période d’alternance, pour passer directement aux nouveaux droits acquis par la suite. Quelle que soit la solution retenue, elle aura un coût supplémentaire que le Medef n’est pas prêt d’assumer. L’organisation patronale veut avant tout respecter les «équilibres financiers» de la réglementation actuelle.

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