Un collège unique sur mesure ?

Le collège 2016 présenté par Najat Vallaud-Belkacem est en discussion. Répond-il aux attentes en termes d’orientation générale et en matière de justice sociale ?

Ingrid Merckx  • 19 mars 2015 abonné·es
Un collège unique sur mesure ?
© Photo : AFP PHOTO / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Le « maillon faible ». C’est le surnom du collège, au grand dam des enseignants concernés. « Unique » depuis 1975 avec ses objectifs républicains de « mêmes savoirs fondamentaux pour tous », le collège est devenu une gare de triage. 20 % des 3,5 millions de collégiens y perdent pied chaque année. Une part poursuit vers le lycée et des études longues tandis que l’autre est orientée vers les voies professionnelles. La proportion d’élèves ne maîtrisant pas les compétences de base en français est de 12 % en CM2 et de 25 % en 3e, d’après l’enquête OCDE/Pisa. Pour les mathématiques, le chiffre passe de 9 % en CM2 à 13 % en 3e. Mais 95 % des enfants de cadres réussissent au collège. Le projet présenté par la ministre de l’Éducation le 11 mars soulève donc des espoirs en matière de justice sociale. « Redonner sa pertinence à l’ambition républicaine du collège unique », a résumé Najat Vallaud-Belkacem en annonçant sa ligne : plus d’autonomie pour les enseignants, à qui elle a choisi de « faire confiance » en s’inspirant du terrain. Reste à savoir si cette réforme répond aux attentes, en termes d’orientation générale mais aussi à travers la nouvelle grille horaire détaillant l’organisation des enseignements. Cette étape reste à venir : la concertation entamée le 11 mars doit donner lieu à un bilan au Conseil supérieur de l’éducation le 9 avril avant l’annonce de la nouvelle grille mi-avril.

Sur la philosophie du texte, le SE-Unsa est plutôt confiant : « L’autonomie de 20 % du temps d’enseignement donné aux enseignants, dans le respect des horaires disciplinaires, va dans le bon sens, estime Christian Chevalier, secrétaire général du syndicat. Enfin on leur permet de travailler autrement, à plusieurs, en croisant les disciplines et en permettant d’autres approches aux élèves. C’est ce qui se fait déjà dans plusieurs pays d’Europe ou au Québec. En outre, cela rassemble l’école et le collège, qui n’est plus l’antichambre du lycée. » Mais l’organisation de la nouvelle grille avec ces 20 % d’autonomie laissés aux enseignants pour les nouveaux « Enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) pose question. Comment cette « pédagogie de projet » autour de grands thèmes va-t-elle se conjuguer avec les enseignements disciplinaires ? Le temps de concertation entre les enseignants se fera-t-il sur leur temps de service ou après ? « Et dans quelle mesure cette autonomie sera réellement une autonomie pédagogique laissée aux enseignants et non aux chefs d’établissement ? », ajoute Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du Snes-FSU. Par ailleurs, cette autonomie accrue pour les enseignants s’accompagnera-t-elle d’un effort sur leur formation initiale et continue ? Si Christian Chevalier estime que cette réforme devrait garantir à tous une maîtrise du socle commun au sortir de la 3e, le Snes-FSU est plus réservé : « Le collège unique n’a jamais existé, tance Frédérique Rolet. Il y a toujours eu des différences très fortes entre les établissements. L’actuelle réforme manque de visibilité puisqu’elle est concomitante de celle du socle commun et de la refonte des programmes. De plus, la réflexion sur l’évaluation des élèves a été reportée. » En outre, l’heure est plutôt au renforcement de la carte scolaire : l’apprentissage de la deuxième langue vivante dès la 5e supprime les dispositifs de classe européenne, très prisés des élites qui y trouvaient aussi un moyen de contourner cette carte. Les deux syndicats sont sceptiques : si la découverte de la LV2 est avancée d’un an, le temps d’apprentissage global de la 5e à la 3e n’augmente qu’à peine et les élèves de 5e ne font guère que 2 heures de LV2 par semaine, alors qu’en langue, c’est le « temps d’exposition » qui est déterminant.

Autre doute : pour « tenir compte des spécificités de chaque élève pour permettre la réussite de tous », la ministre augmente l’accompagnement personnalisé. Celui-ci passe de 3 heures par semaine à 2 en 6e, mais se poursuit désormais jusqu’en 3e. « Ce qui fait que, sur les quatre ans de collège, l’accompagnement personnalisé global n’est pas beaucoup plus important », observe Frédérique Rolet. Dernier point : la ministre a annoncé une création de 4 000 postes au collège, 1 800 devant être consacrés aux langues vivantes. Cela règlera-t-il les problèmes de sureffectifs et de diminution des moyens pour les travaux en demi-groupes, sachant que la France compte 7 000 collèges et que nombre d’enseignants regrettent que le temps passé avec les élèves diminue ? Najat Vallaud-Belkacem a un mois pour répondre.

Société
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