Venezuela : Où va la révolution bolivarienne ?
Le gouvernement intensifie la répression, non seulement face à l’opposition, mais aussi contre la gauche chaviste.
dans l’hebdo N° 1343 Acheter ce numéro
Un gamin de 14 ans, Kluivert Roa, abattu par un policier en marge d’une manifestation antigouvernementale à San Cristóbal, dans l’ouest du Venezuela. Les photos de la mare de sang envahissent instantanément les réseaux sociaux. Les manifestants répliquaient à l’arrestation du maire de Caracas, Antonio Ledezma, cinq jours plus tôt. Il aurait, selon le gouvernement, participé à une tentative de coup d’État. C’est dans cette même ville de San Cristóbal qu’un an plus tôt une protestation contre l’insécurité, à la suite du viol d’une jeune fille, s’était muée en révolte contre le gouvernement. L’opposition réclamait la « salida » (la sortie), la démission du gouvernement héritier du chavisme. Ces manifestations avaient causé la mort de 43 personnes. Antonio Ledezma était l’un des promoteurs de cette salida. Deux autres figures majeures de cette stratégie d’opposition ont également été mises à l’index. Maria Corina Machado a été destituée de son mandat de députée en mars 2014, et Leopoldo López est incarcéré depuis un an. Les trois opposants sont signataires de « l’Accord national pour la transition », dont la publication dans la presse, le 11 février, devait être l’élément déclencheur d’un coup d’État, selon le gouvernement. Le document appelle à ce que la transition « se réalise à l’initiative de la majorité des Vénézuéliens ». Sans mentionner d’élections… « Les consignes sont intentionnellement ambiguës. L’opposition mélange les instructions légitimes et subversives. L’accord évoque une transition, mais qui dans le monde accepterait un gouvernement parallèle ? », se demande l’historien états-unien Steve Ellner, résidant au Venezuela.
La révolution bolivarienne ne change pas pour autant de cap. Les députés socialistes ont demandé qu’une enquête soit menée contre Julio Borges, de Primero Justicia, le parti de Henrique Capriles, candidat malheureux contre Nicolás Maduro. Son immunité parlementaire pourrait être levée. Le parti chrétien Copei est aussi dans le viseur du président de l’Assemblée nationale. « Ma main ne va pas trembler pour les mettre en prison », menaçait Nicolás Maduro dimanche, en référence aux « conspirateurs ». Un pilote états-unien a d’ailleurs été arrêté, soupçonné d’espionnage. Et le ton ne se durcit pas qu’envers les opposants. Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolás Maduro, la chasse est menée contre les chavistes perçus comme trop critiques et particulièrement l’aile gauche de la « révolution bolivarienne ». Un des piliers du chavisme, Jorge Giordani, ministre de la Planification de février 1999 à juin 2014 avec seulement deux ans d’interruption, a été poussé vers la sortie du gouvernement en juin 2014. En novembre dernier, c’était au tour du courant Marea Socialista et de ses quelque 300 membres d’être exclus du parti chaviste, le PSUV. Un mail et un numéro de téléphone sont à la disposition des militants pour dénoncer les « traîtres ».
Pour les pro-Maduro, cette poussée d’autoritarisme est légitimée par le contexte de « guerre ». Une guerre politique où la droite, aidée par les États-Unis, tenterait de renverser le gouvernement par tous les moyens, notamment en provoquant inflation (68,5 %), pénuries ou encore chute du prix du pétrole dont dépend toute l’économie vénézuélienne. Guerre ou pas, les chavistes dits « critiques » pointent du doigt l’incapacité de Nicolás Maduro à faire face. Il a lancé une réforme attendue du contrôle du change pour tenter de ralentir la spéculation favorisée par la coexistence d’un change officiel et d’un change au noir. Mais les magasins continuent de présenter une seule marque de produits par rayon. La pauvreté, qui avait baissé de moitié sous Chavez pour atteindre 21,2 % à la fin 2012, a refait surface après sa mort. Une étude menée par les trois principales universités du pays soutient qu’aujourd’hui 48,4 % des ménages sont pauvres. Empêtré dans la guerre déclarée contre l’ennemi intérieur et les problèmes économiques, le gouvernement pallie l’urgence sans parvenir à trouver un nouvel élan sur le terrain social. La popularité du successeur de Hugo Chávez est en chute libre, à en croire les instituts de sondages. Une situation de mauvais augure pour la révolution bolivarienne, qui affrontera l’opposition sur le terrain électoral lors des législatives à la fin de l’année.