Europe : La guerre aux migrants
Face aux naufrages en Méditerranée, le sommet de Bruxelles a débouché sur une surenchère de propositions répressives.
dans l’hebdo N° 1351 Acheter ce numéro
C’est peu dire que le sommet européen du 23 avril, à Bruxelles, n’a pas été à la hauteur du problème. Quelques jours après la mort de huit cents migrants en Méditerranée, les 28 ont certes décidé de tripler le très modeste budget attribué à l’opération Triton de surveillance en mer, mais ils ont surtout refusé de changer de grille de lecture. Ils s’en tiennent à une conception répressive, refusant de revenir à une véritable action humanitaire de sauvetage. La raison en est à la fois économique et politique.
La palme du cynisme est revenue au Premier ministre britannique David Cameron. « Ce que je vais apporter aujourd’hui, c’est le navire amiral de notre marine, ainsi que trois hélicoptères et deux autres navires », a-t-il promis, avant d’ajouter : « Bien sûr, cette aide doit se faire à certaines conditions. Cela signifie que les gens que nous recueillerons seront amenés dans le pays le plus proche, c’est-à-dire sans doute l’Italie, et qu’ils ne pourront pas demander l’asile en Grande-Bretagne. » Il est vrai que le leader conservateur est en campagne électorale. Mais il est probable que son propos reflète le fond de sa pensée et la phobie anti-immigrés de ses collègues européens. Ce qui en bon anglais se résume par la fameuse formule « Not in my backyard ». Pas chez moi. Et pour le reste, que l’Italie se débrouille ! La position française s’inscrit également dans une logique d’endiguement. François Hollande veut s’attaquer aux passeurs « esclavagistes » et « terroristes ». Le président français a annoncé que Paris et Londres saisiraient ensemble le Conseil de sécurité des Nations unies pour demander une intervention sur le territoire libyen ou le long des côtes de ce pays. L’un des objectifs serait la destruction des navires de passeurs. Une action de guerre qui requiert un mandat de l’ONU et, par conséquent, l’autorisation de la Russie de Vladimir Poutine. Outre les risques politiques et militaires d’une telle entreprise dans une Libye encore marquée par l’intervention occidentale de mars 2011, on peut s’interroger sur son efficacité. À moins de mener une guerre perpétuelle dans les ports libyens, on ne fera jamais que rendre encore plus périlleuses, et donc plus coûteuses, des traversées que l’on n’empêchera pas.
Plusieurs personnalités politiques ont d’ailleurs rivalisé ces jours-ci en propositions aussi farfelues que dangereuses. François Fillon a poussé jusqu’à la caricature un discours qui vise surtout à éloigner le problème : « Les Européens ne sont en rien à l’origine de la situation à laquelle ils doivent faire face », a déclaré l’ancien Premier ministre, qui suggère d’installer « des antennes de nos consulats en Libye pour traiter les vrais réfugiés ». On ignore qui sont dans son esprit les « vrais réfugiés », mais on mesure la légèreté du propos. Comment imaginer que l’on pourrait installer une administration française en Libye dans le contexte actuel ? Son ex-collègue, l’UMP Xavier Bertrand, demande tout simplement que l’on organise un « blocus maritime au large des côtes libyennes ». Une action de guerre ! Quant à la Commission européenne, elle donne elle aussi dans le cynisme en proposant que les États membres puissent « tester une répartition de migrants en cas de besoin ». Comme si, après deux mille morts depuis le début de l’année, le « besoin » n’était pas déjà là. C’est finalement le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui a fait entendre la voix la plus réaliste. En visite lundi au large de la Sicile, il a affirmé qu’il n’y a « pas de solution militaire à la tragédie », et plaidé pour la création de « canaux légaux et réguliers d’immigration ».