GPA : Un débat qui divise les féministes
La question de la rétribution et deux visions du corps opposent les féministes sur la gestation pour autrui, qui reste interdite en France. Pour mieux protéger femmes et enfants, ne faudrait-il pas faire évoluer le droit ?
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Aucune féministe n’est favorable à l’exploitation. Certaines considèrent que « l’engendrement avec tiers donneur » relève de la liberté de disposer de son corps et du choix consenti de porter un enfant pour autrui. D’autres estiment que la « maternité de substitution » est une décision contrainte : comme il y a toujours au moins dédommagement sinon rétribution dans le cadre d’une gestation pour autrui (GPA), elles ne perçoivent pas le don et considèrent la pratique comme relevant d’un contrat marchand. L’objet de l’échange étant bien sûr l’enfant, mais aussi neuf mois minimum de la vie de la gestatrice. Et si, au lieu de figer le débat, ce clivage féministe servait de tremplin à une réflexion collective ? Si la GPA a toujours existé de manière marginale et « conviviale », sa forme médicalisée est apparue à la fin des années 1970 avec le développement de la procréation médicalement assistée. Elle augmente aujourd’hui, probablement du fait d’un accroissement de l’infertilité, des difficultés à adopter un enfant (un quart des demandes satisfaites…) et d’une amélioration des droits des couples homosexuels. Elle est tolérée ou encadrée dans plusieurs pays. Les couples français – homosexuels et hétérosexuels – souhaitant y avoir recours se rendent ainsi à l’étranger dans des conditions dépendantes de leur budget et de leurs réseaux. Deux cents enfants par an seraient concernés en France. Un chiffre non officiel puisque la pratique est interdite depuis 1991.
Les pro-GPA plaident pour une évolution de la loi. « L’interdiction renvoie les pratiques dans le non-droit et la prohibition entraîne le développement de marchés parallèles, rappelle l’avocate Caroline Mécary [^2]. Si on s’oppose à la GPA au nom de la lutte contre l’exploitation, on devrait logiquement défendre une régulation : on n’interdit pas l’adoption internationale parce qu’il existe des trafics d’enfants. Le droit permet de ne pas tomber dans la loi de la jungle et limite les dérives. » Les féministes pro-GPA tentent d’imaginer une « GPA éthique » aux antipodes des usines à bébés. « L’éthique serait d’abolir la GPA ! », objecte le Collectif pour le respect de la personne (CoRP), qui compte parmi ses fondatrices la philosophe Sylviane Agacinski. Le CoRP est à l’origine d’une contribution pour faire interdire la GPA, signée par un groupement d’associations féministes et de défense des droits humains de plusieurs pays, envoyée le 23 mars dernier à la Conférence de La Haye [^3]. Cette organisation internationale qui rédige des conventions de droit international privé, notamment la Convention internationale sur l’adoption, a en effet lancé un groupe de travail chargé de trouver un accord mutuel définissant des « standards minimaux » en matière de GPA. Le CoRP est également l’auteur d’une lettre à François Hollande ( Libération, 14 juillet 2014 ) signée par des personnalités, dont Yvette Roudy, Catherine Tasca, Lionel Jospin ou Jacques Delors… « Le contrat de mère porteuse est contraire au principe de respect de la personne, déclarait ce texte. Aussi bien celui de la femme, qui porte l’enfant commandé, que celui de l’enfant, commandé par une ou deux personnes, qui se développe dans le ventre de la “porteuse”, puis est livré. Les êtres humains ne sont pas des choses. »
La riposte est venue d’Irène Théry, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et présidente du groupe « Filiation, origines et parentalité », missionné par le ministère de la Famille. Dans sa tribune, « GPA : pour un débat argumenté et respectueux des personnes » ( Libération, 23 juillet 2014), la sociologue place cette pratique sur le terrain du don. Don à qui elle voudrait voir reconnaître une valeur sociale et juridique. Pour ce faire, elle estime nécessaire de sortir du modèle bioéthique et juridique à la française où la mère reste « celle qui accouche » : la GPA implique une dissociation entre la mère génétique et la mère gestationnelle. « L’axe du droit commun de la famille ne sera plus le mariage mais la filiation », fait valoir le groupe « Filiation, origines et parentalité ». Dans son rapport, il appelle à rompre avec l’opposition entre parent biologique et parent social, et à « faire coexister à égale dignité trois modalités d’établissement de la filiation : l’engendrement par procréation charnelle, l’adoption, l’engendrement avec tiers donneur. »
Le principal point d’achoppement entre les féministes sur la GPA est la question économique. Contrairement à l’adoption, la rétribution de la gestatrice est assumée et encadrée dans la plupart des pays qui ont légalisé la pratique. « On retrouve avec la GPA certains des arguments opposant les féministes à propos de la prostitution, observe le sociologue Éric Fassin. Sinon qu’on grimpe encore d’un cran puisque de la tarification de la sexualité on passe à celle de la maternité. Dans les deux cas, faire abstraction de la donnée économique – qui traverse tous les rapports sociaux – revient à établir une sorte d’exception sexuelle… » Concept qu’il développe dans un texte intitulé « L’éthique est un luxe » [^4]. « Les anti-GPA disent : même s’il s’agit d’un don, on ne peut pas donner un enfant. Comme si l’enfant était un bien », souligne-t-il. Dans certains discours pro-GPA, l’enfant est pourtant considéré comme un « bien », mais « commun ». Le philosophe Bertrand Guillaume imagine ainsi la GPA organisée comme un service public fondé sur le principe de justice redistributive. Et la sociologue Anne Cadoret [^5] revendique la dimension d’échange et de lien social. Il n’y aurait pas « abandon » puisque l’enfant a été conçu pour ses parents d’intention. « Pourquoi ne pas parler de circulation d’enfants ? », propose-t-elle [^6].
Ce qui étonne Éric Fassin, c’est que les anti-GPA fassent le procès de l’exploitation dans une pratique minoritaire et non dans le système global, incluant le mariage, le patriarcat, le salariat… Les questions adressées aux parents impliqués dans une GPA, les pose-t-on aux autres parents ? « Pourquoi vouloir interdire une pratique minoritaire pour des motifs qu’on autorise quand il s’agit de la norme ? » Sauf que, dans le cadre d’un mariage, les mariés sont très majoritairement issus du même milieu. Dans celui d’une GPA, la gestatrice a le plus souvent des revenus inférieurs à ceux des parents. Ce qui accroît la suspicion. « En Inde, les mères porteuses sont recrutées dans les villages, puis concentrées dans des cliniques jusqu’à la naissance, en espérant sortir de la misère grâce à une rémunération supérieure au revenu annuel moyen, rappelle le CoRP. Aux États-Unis, [elles] ne sont pas recrutées parmi les populations les plus pauvres, mais parmi des femmes aux revenus modestes de la basse classe moyenne. » La maternité comme source de revenus, ce ne serait que justice pour certaines féministes qui vont jusqu’à considérer la GPA comme le dernier combat pour l’égalité. « La filiation est un fait social pour les hommes, par pour les femmes, pour qui c’est un fait charnel en droit », précise la sociologue Martine Gross. La GPA pour sortir définitivement de « l’assignation à la maternité » ? Elle peut être perçue au contraire comme une nouvelle étape de la domination masculine, le corps de la femme n’étant souvent plus que réceptacle, pour des couples d’hommes de surcroît. Enfin, la grossesse n’est pas un acte anodin, ni physiquement ni psychiquement. C’est ce qui distingue la GPA d’un don de sperme ou d’ovocytes, et c’est ce qui fait qu’un certain nombre de médecins y sont opposés : ils redoutent les risques encourus par la gestatrice et l’impasse faite sur les liens qui se tissent avec le fœtus pendant la grossesse. Mais ces liens, la société s’en préoccupe-t-elle pour une grossesse « normale » ?
[^2]: L’Amour et la loi , Caroline Mécary, Alma éditeur.
[^3]: Voir le texte sur collectif-corp.com
[^4]: À lire sur le blog : Sautez dans les flaques.
[^5]: Parenté plurielle. Anthropologie du placement familial , Anne Cadoret, Paris, L’Harmattan.
[^6]: France Culture, « Du grain à moudre », 18 août 2014.