L’instruction du blocus de Gaza va pouvoir commencer

TRIBUNE. C’est la conviction qu’exprime Christophe Oberlin. Ce chirurgien détaille les conséquences de l’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale et de trois procédures engagées contre les dirigeants israéliens.

Christophe Oberlin  • 4 avril 2015
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L’instruction du blocus de Gaza va pouvoir commencer
Christophe Oberlin est chirurgien. Il a participé à de nombreuses missions sanitaires et humanitaires à Gaza, et il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. Dernier ouvrage paru : « Le chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour pénale internationale » , Erick Bonnier 2014.
© Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale ( ISAAC KASAMANI / AFP).

On peut s’interroger sur les objectifs des trois dernières attaques israéliennes sur la Bande de Gaza. Malgré un bilan de plus de quatre mille morts et plusieurs dizaines de milliers de blessés du côté palestinien, on descelle difficilement l’ébauche d’une amélioration de la position israélienne, qu’elle soit politique, militaire, diplomatique, voire même sécuritaire. A tel point que nombre de Gazaouis, désorientés, se posent la question lancinante de la date et de la forme de la prochaine guerre.

Néanmoins des progrès d’une autre nature ont été enregistrés, progrès très peu médiatisés voire occultés : ce ne sont en effet pas moins de trois procédures judiciaires qui sont engagées aujourd’hui contre les dirigeants israéliens au niveau de la Cour Pénale Internationale.

La première, la plus médiatisée, est en fait la plus faible. Avec l’adhésion de l’Etat de Palestine à la Cour Pénale Internationale le 31 décembre 2014, l’Autorité Palestinienne menace maintenant Israël de porter plainte. Mais l’exécutif actuel passera-t-il à l’acte ? Rien n’est moins sûr. Mahmoud Abbas a constitué une simple commission de travail, surdimensionnée. Parmi ses 32 membres, certains, même s’ils n’ont pas encore démissionné, sont frappés du plus grand scepticisme. Car c’est la même Autorité qui déjà par deux fois, en mars 2009 et en juillet 2014, a bloqué deux plaintes parfaitement régulières déposées sur le bureau de la procureure de la CPI Fatou Bensouda (photo). Et la tentation est grande pour le Président de l’Autorité palestinienne de monnayer une absence de poursuite d’Israël contre une reprise du reversement des taxes d’importations qu’Israël prélève en son nom : de quoi payer les fonctionnaires de Cisjordanie qui commencent à protester.

La deuxième procédure nécessite une explication juridique. En signant l’adhésion au Statut de Rome, le président de l’Autorité palestinienne a signé en même temps une « déclaration de compétence ». La signature de ce document est obligatoire, conjointement à une éventuelle future plainte, pour permettre à la procureure de commencer à étudier les crimes de l’été 2014. Mais, fait pratiquement occulté, la signature de la déclaration de compétence avec rétroactivité à juin 2014, réactive automatiquement la plainte déposée le 25 juillet 2014 par le ministre de la Justice de l’Autorité palestinienne Salim al Saqua et le procureur général de Gaza Ismail Jaber. Ceci n’a d’ailleurs pas échappé à Fatou Bensouda dont le bureau a communiqué officiellement dès le 15 janvier 2015 qu’il débutait l’examen des charges.

De plus, la signature de la « déclaration de compétence » permet à toute victime palestinienne de la politique israélienne de porter plainte, et surtout empêche désormais légalement Mahmoud Abbas de bloquer ces plaintes qui peuvent maintenant parvenir à Mme Bensouda en provenance de partis, de responsables politiques, mais aussi d’ONG ou de simples citoyens.

Mais la troisième affaire, en droit, n’est pas la moindre. On se souvient qu’en mai 2010 la marine israélienne a tué neuf pacifistes turcs qui, à bord du Mavi Marmara et dans les eaux internationales, tentaient de gagner le port de Gaza. Le bateau battait pavillon Comorien. Or les Iles Comores, qui font partie des 120 Etats parties à la Cour Pénale Internationale, ont porté plainte auprès de la CPI. Après examen, le 6 novembre 2014, la procureure a rendu un avis qui mérite d’être cité textuellement :
« Bien qu’il y ait des bases raisonnables pour penser que les crimes qui ont été commis relèvent de la CPI, les informations produites ne constituent pas une base raisonnable pour procéder à une investigation. (…) Les cas doivent être d’une gravité suffisante. Il faut prouver qu’ils font partie d’un plan ou d’une politique, ou que ces crimes ont été commis à grande échelle. »
Et la procureure de préciser qu’elle ne donne qu’un avis ponctuel sur les meurtres sans envisager la question de la légalité ou pas du siège de Gaza. Blocus qui est pourtant à l’origine de la flottille, et qui constitue un crime de guerre selon le Statut de Rome. Il faut dire à la décharge de la procureure qu’à la date de sa réponse, aussi incroyable que cela puisse paraitre, le siège de Gaza n’avait suscité aucune plainte auprès de la CPI  !

Alors, le 15 janvier 2015, les Iles Comores font appel de la décision de Fatou Bensouda. Et, selon le statut de la CPI, c’est maintenant à la Cour elle-même, composée de trois juges, de trancher, avec deux orientations : confirmer ou pas l’existence de crimes de guerre, et surtout, ce qui est la règle dans tout jugement, replacer les crimes dans leur contexte (les jurisprudences de ce type sont nombreuses).

Et voilà que le 30 mars 2015 viennent s’ajouter à l’appel des Iles Comores… 450 plaintes de victimes du siège de Gaza ! L’instruction du blocus de Gaza va donc pouvoir commencer. Il ne fait pas de doute, en droit, que les charges devraient être confirmées, ouvrant la voie à un procès en bonne et due forme et à des condamnations.

Ces procédures inquiètent évidemment les dirigeants israéliens. En témoigne l’énergie développée pour obtenir l’éviction de William Schabas de la présidence du Comité d’investigation du très modeste Conseil des droits de l’homme de l’ONU ; et pour refuser l’accès des enquêteurs à la bande de Gaza. Les conclusions de ce comité, sans caractère contraignant, devaient être rendues publiques à la fin du mois de mars. Un délai supplémentaire a été demandé par la nouvelle présidente du dit comité… Un rapport qu’Israël aimerait voir enterré comme le fut jadis le rapport Goldstone sur la guerre de 2009.

Mais aujourd’hui l’affaire est beaucoup plus sérieuse et la bataille juridique ne fait que commencer. En treize années de fonctionnement, jamais la CPI n’était allée aussi loin en procédure concernant les crimes commis par un Etat occidental.

Monde
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