Loi renseignement : Où sont les voix dissidentes ?
justice Le projet de loi sur le renseignement, censé renforcer la lutte contre le terrorisme, est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, où il rencontre peu de critiques et une faible opposition.
dans l’hebdo N° 1348 Acheter ce numéro
«Extension significative du périmètre de la surveillance », « dispositif pérenne de contrôle occulte des citoyens » aux « motifs trop larges » et « garde-fous insuffisants » pour protéger les libertés individuelles… Depuis sa présentation en Conseil des ministres le 19 mars, le projet de loi sur le renseignement a été la cible de nombreuses critiques, tant de la part d’associations de défense des libertés – Ligue des droits de l’homme, Quadrature du Net, Amnesty – que de syndicats comme la CGT-Police ou le Syndicat de la magistrature. Mais tandis que la société civile s’alarmait, la partie a commencé à l’Assemblée, et elle penche nettement en faveur du texte controversé. Le projet de loi a en effet été validé par la Commission des lois, légèrement modifié. Loin d’être entamé, il a même été renforcé par les députés, qui ont élargi le champ d’action des services.
À moins d’une semaine de l’examen en séance du texte, et en dépit d’un intense lobbying des associations de défense des libertés, rares sont les parlementaires à s’être publiquement inquiétés du projet. Et pour cause, moins d’une semaine après sa présentation en Conseil des ministres, le texte s’est retrouvé devant des députés qui n’avaient, pour beaucoup, « pas eu le temps de le préparer », souligne Sergio Coronado, député Europe écologie-Les Verts (EELV), et membre de la Commission des lois. « Le groupe socialiste a déposé très peu d’amendements. Et certains ont soutenu le texte sans véritablement le connaître. » Une procédure accélérée qu’il n’est pas seul à dénoncer. Pour Jean-Jacques Candelier, député communiste, une telle précipitation est « injustifiée ». « Ça fait longtemps qu’on réfléchit à ce texte, pourquoi son adoption est-elle subitement si urgente ? » Selon Isabelle Attard, députée Nouvelle Donne, très critique vis-à-vis du projet, la réponse est claire, le climat n’est pas favorable aux opposants du tout-sécuritaire : « Quand on prend la parole pour défendre les libertés, on nous accuse de manquer de patriotisme et de vouloir laisser courir les terroristes. C’était déjà le cas lors des discussions autour de la loi antiterroriste il y a quelques mois, qui n’avait pas rencontré d’opposition », dénonce-t-elle.
Pour l’heure, le sujet divise les groupes parlementaires et crée des unions inédites. À peine présenté en Conseil des ministres, le projet de loi a ainsi été adoubé par l’UMP, qui a annoncé sans ambages que ses parlementaires voteraient le texte, sous réserve qu’il ne soit pas « dénaturé » par des amendements « risquant d’entraver l’action des services ». Seule voix dissonante, celle de Laure de La Raudière, qui déclarait sur Twitter que certaines dispositions du texte lui donnaient des « sueurs froides ». Ses inquiétudes ne sont pas si éloignées de celles de Sergio Coronado, qui ne cache pas son opposition au projet. Chez EELV, les positions divergent. La direction nationale a certes dénoncé une loi « dangereuse pour la citoyenneté et la démocratie », mais cet avis ne fait pas l’unanimité à l’Assemblée. François de Rugy estime ainsi que le projet du gouvernement est « équilibré ». « Je comprends les inquiétudes, mais je crois qu’il y a beaucoup de fantasmes. Le but, ce n’est pas d’accumuler des fiches sur les citoyens, nous ne sommes pas dans un régime totalitaire. Le but, c’est de déjouer des attentats. » Cet objectif, les députés communistes pourraient le soutenir. Ils avaient ainsi voté la loi antiterroriste à l’automne dernier. Mais cette fois-ci, le texte n’est pas assez équilibré, selon Jean-Jacques Candelier : « Cette réforme est justifiée, je ne le conteste pas. Il faut faire face au terrorisme, mais là on va trop loin dans l’atteinte aux libertés. »
Cette idée fait également son chemin chez certains socialistes. Christian Paul, député PS et coprésident de la Commission de réflexion sur les libertés numériques, s’est ainsi inquiété du faible pouvoir de la Commission de contrôle des techniques de renseignement, garante annoncée des libertés individuelles. Le socialiste Pouria Amirshahi n’est pas moins critique. Et à l’en croire, il n’est pas seul au sein de son parti : « Je connais des socialistes qui ont des réserves. Pour le moment, ils ne les ont pas encore exprimées clairement. » Ces voix seront-elles plus audibles lors des débats en séance ? Cela reste à prouver. Car même s’il affirme la nécessité de faire librement entendre des paroles dissidentes, le frondeur le reconnaît : « Globalement, le climat est plutôt à l’assentiment général. »