Marchés publics : « Le gouvernement ne doit pas céder aux lobbies »
marchés publics La loi Macron contient une réforme qui menace directement nos cadres de vie, selon l’architecte Denis Dessus.
dans l’hebdo N° 1347 Acheter ce numéro
La loi Macron contient de gros enjeux masqués. Elle autorisera notamment le gouvernement à légiférer par ordonnance pour transposer un paquet de directives européennes réformant la commande publique, laquelle représentait 71,5 milliards d’euros de marchés en 2013. En arrière-plan, se profile la suppression de nombreux articles du code des marchés publics au profit des géants du BTP. Pour les professionnels de l’architecture, la qualité et l’indépendance de la maîtrise d’œuvre sont mises en cause.
La loi Macron inquiète les architectes. Pour quelles raisons ?
Denis Dessus : La réforme de la commande publique nous inquiète car elle ne contient aucune disposition spécifique pour la passation des marchés de maîtrise d’œuvre, pas plus qu’elle ne mentionne le concours en tant que système spécial de passation des marchés. Or, les modalités d’attribution des marchés de maîtrise d’œuvre déterminent la qualité du cadre de vie de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle nous disposons aujourd’hui d’un cadre légal et réglementaire spécifique qui inscrit dans la loi l’indépendance de la maîtrise d’œuvre, indispensable à la transparence et à l’efficacité de la commande, et qui fixe des procédures spécifiques et encadrées pour leur passation. Remettre en cause ce principe et supprimer le concours obligatoire nous ramènerait trente ans en arrière. De plus, en permettant la quasi-généralisation des contrats globaux [partenariats public-privé, NDLR], le projet d’ordonnance remet en cause l’indépendance de la maîtrise d’œuvre, principe essentiel de la commande publique française et de la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d’ouvrage publique (MOP). Nous pensons d’ailleurs que le projet d’ordonnance outrepasse son champ d’habilitation en intervenant sur la loi MOP.
Quels critères ont été privilégiés dans la réforme de la commande publique ?
Il semble que la direction des affaires juridiques au ministère de l’Économie veuille une transposition a minima dans l’ordonnance, puis traiter les cas particuliers dans les décrets qui suivront. Bercy semble guidé, sous prétexte de simplification, par le principe de la « boîte à outils » : mettre un panel de procédures à disposition des acheteurs publics et faire confiance à leur sagacité pour les choisir et les mettre en œuvre. Mais la simplification et l’efficacité de la commande consistent au contraire, pour des marchés aussi spécifiques que ceux de maîtrise d’œuvre, à définir et à cadrer la procédure adéquate permettant in fine d’obtenir le meilleur service public.
Le Conseil national de l’ordre des architectes est-il entendu ?
La direction des services juridiques de Bercy nous a reçus à plusieurs reprises sans nous donner la garantie d’être entendus, alors que nous avons eu une démarche constructive, proposant des rédactions cohérentes et améliorées pour un meilleur achat public, éthique, économique et responsable. Le gouvernement a le choix : maintenir la commande publique d’architecture, génératrice du cadre de vie de nos concitoyens, dans une démarche de qualité que nous envie toute l’Europe, ou céder aux lobbys des grands groupes et des acheteurs publics, qui considèrent que l’on doit produire des logements sans se soucier des gens qui les occupent et de la ville que l’on crée.