Rwanda : La difficile vérité
La déclassification de documents jusqu’ici tenus secrets va-t-elle clarifier le rôle de la France dans le génocide de 1994 ? Pas sûr.
dans l’hebdo N° 1349 Acheter ce numéro
L’annonce par l’Élysée, le 7 avril, de la signature d’une décision de déclassification de documents émis sur le Rwanda entre 1990 et 1995 par la présidence de la République – entre autres des notes de conseillers de François Mitterrand et des comptes rendus de conseils restreints de défense – est évidemment une bonne nouvelle. Surtout si, comme l’indique l’entourage de François Hollande, d’autres archives classées secret défense sont rendues publiques, comme celles de l’Assemblée nationale et des ministères des Affaires étrangères et de la Défense.
La période concernée couvre notamment les quatre mois du génocide, d’avril à juillet 1994, qui fit 800 000 morts, pour la plupart Tutsis. Mais ne risque-t-on pas d’apprendre ce que l’on sait déjà ? Jusqu’où ira la volonté de transparence du président de la République ? L’association Survie, qui milite pour établir la vérité sur le rôle de l’État français dans le génocide, craint que les documents déclassifiés n’appartiennent à une sélection déjà connue, établie à l’époque par une collaboratrice de François Mitterrand. Si tel était le cas, on n’aurait toujours pas de réponse officielle à certaines questions qui restent en suspens. Il s’agit notamment de savoir dans quelles conditions des armes ont été livrées, directement ou indirectement, au gouvernement provisoire pendant la durée du génocide, y compris durant l’opération Turquoise, pourtant à vocation « humanitaire ». En fait, ces livraisons ont été reconnues par Hubert Védrine lors d’une audition parlementaire. Mais celui qui était à l’époque le secrétaire général de l’Élysée conteste que ces armes aient pu servir au massacre. Pour lui, « la France considérait que, pour imposer une solution politique, il fallait bloquer l’offensive militaire » du Front patriotique rwandais (FPR). Officiellement, Paris avait œuvré à un compromis débouchant sur un partage du pouvoir entre le régime hutu et le FPR tutsi de Paul Kagamé. Le problème, c’est que cette logique du compromis a été immédiatement balayée par les événements. Or, la France s’y est accrochée, alors que les victimes du génocide se comptaient déjà par centaines de milliers. Quoi qu’il en soit, de telles livraisons étaient en infraction avec l’embargo décrété par l’ONU dès le 17 mai. Beaucoup d’autres questions restent en souffrance, par exemple sur le rôle du sulfureux capitaine Barril, mercenaire travaillant à son compte ou agent parallèle de l’armée française, et sur l’opération Turquoise, chargée à partir du 22 juin de « mettre fin aux massacres », mais qui aurait surtout facilité l’exfiltration des génocidaires. Subsiste également l’énigme du tir du missile qui, le 6 avril, a abattu l’avion du président rwandais Habyarimana, événement qui a marqué le début du génocide.
Sur ce dernier point, le départ du juge Marc Trévidic, en charge du dossier, et qui doit être prochainement remplacé au pôle antiterroriste, ne facilitera pas la poursuite de l’enquête. Même si le débat existe toujours sur le degré de complicité de la France, emportée par une logique folle de défense de son pré carré contre l’influence anglo-saxonne, on ne peut que s’associer à une exigence de vérité qui suppose que tous les documents soient rendus publics. Hélas, la déclassification annoncée symboliquement par François Hollande le jour anniversaire du déclenchement du génocide risque surtout de poursuivre un but diplomatique visant à réconcilier la France avec le président rwandais, Paul Kagamé. On espère être démenti.