Une justice environnementale
La préservation de l’environnement serait-elle un luxe de nantis ? Cette croyance escamote les milliers de mobilisations menées par des populations démunies dans le monde.
dans l’hebdo N° 1349 Acheter ce numéro
L’émission satirique « 7 jours au Groland » (Canal +) montrait il y a quelques années un « reportage » faussement loufoque comparant les modes de vie de Gérard Ranvard, « individu totalement indifférent à cette grande cause » qu’est le dérèglement climatique, et de Jérôme Ludion, « militant écologiste conscient de ses responsabilités ^2 ». Si le premier fait régulièrement grimper son compteur d’émissions de CO2 en prenant des douches trop chaudes, en cuisinant viande sur viande avec sa vieille cuisinière et en polluant avec une voiture diesel hors d’âge, le second est irréprochable, fan des énergies renouvelables, végétarien-équitable et propriétaire d’une voiture hybride. En récompense de tant d’efforts, Ludion s’offre une escapade à Marrakech. Et son compteur de CO2 explose tandis que Ranvard, avachi devant sa télé, remporte la compétition haut la main…
Et si ces acteurs n’ont pas été recensés comme « écologistes » avant les années 1980, c’est qu’ils n’utilisent pas le langage des milieux environnementalistes – préservation des milieux, protection des ressources, réserves intégrales. « Nous avons recensé près de 1 500 de ces conflits, dont près de 20 % ont débouché sur l’abandon des projets prédateurs ^4. » Dans un certain nombre de cas, il s’agit de populations indigènes défendant leur environnement au nom de principes sacrés. Les U’was d’Amazonie colombienne, pour qui le pétrole est le sang de la terre-mère, menaçaient Occidental Petroleum d’un suicide collectif en cas de profanation. Dans l’État indien d’Orissa, les Dongria Kondhs ont obtenu gain de cause contre l’entreprise minière Vedanta, qui voulait décapiter une montagne qu’ils divinisent. Joan Martínez Alier relève cependant que le principal ressort des populations lésées est la défense de leurs moyens de subsistance. Et il ne s’agit pas d’opportunisme : ces groupes ont généralement évolué de manière durable avec la nature, garantissant la préservation des milieux et de la biodiversité. C’est le cas des petits paysans qui cultivent sur brûlis par rotation, des communautés qui exploitent des produits de la forêt, des Sahariens d’In Salah qui dépendent de la nappe phréatique menacée de pollution par les forages algériens de gaz de schiste. « Dans le Tamil Nadu indien, le groupe Emmaüs a survécu en reconstituant une forêt dans une zone que l’exploitation agricole intensive avait rendue désertique », signale Jean Rousseau, président de la branche internationale du mouvement. Aux États-Unis, l’écologisme des pauvres a donné naissance au mouvement pour la « justice environnementale », en dénonciation d’une nouvelle forme de racisme : c’est dans les zones pauvres à population majoritairement noire, hispanique ou autochtone que l’exposition aux risques environnementaux est la plus importante – pollution de l’air et de l’eau, bruit, stockage de déchets…
Ce mouvement connaît aujourd’hui un développement nouveau avec la crise climatique. Le Grassroots Global Justice Alliance (GGJ), qui regroupe 50 organisations, a récemment endossé la bataille contre le dérèglement climatique. « Non seulement les communautés pauvres sont les premières touchées, comme on l’a vu avec l’ouragan Katrina, mais il nous apparaît clairement que cette crise est la conséquence de ce modèle prédateur qui marchandise tout, et contre lequel nous luttons déjà », commente Cindy Wiesner, directrice de GGJ. Le 23 septembre dernier, ce mouvement a coorganisé la manifestation qui a mis 400 000 personnes dans la rue à New York pour faire pression sur le sommet climat réuni à l’ONU.
[^2]: www.dailymotion.com/video/x5lp0j_ecolo-bobo_fun
[^3]: L’Écologisme des pauvres, éd. Les Petits matins, 2014.
[^4]: https://ejatlas.org