Véli Korku : Tête de Kurde

D’origine alévie, Véli Korku vit et travaille à Valence depuis douze ans. La préfecture de la Drôme s’obstine à lui refuser un titre de séjour. Récit d’un acharnement.

Ingrid Merckx  • 2 avril 2015 abonné·es
Véli Korku : Tête de Kurde
© Photo : Ingrid Merckx

Le village apparaît sur l’écran du téléphone. « Vous voyez ? C’est haut ! Même en août on met un pull… » Des montagnes, des semblants de maisons… L’image satellite est un peu floue. « Ce sont des ruines. Tout a été brûlé par l’armée. Il ne reste plus personne. C’est un village fantôme. C’est là qu’on voudrait le renvoyer ? » Le cousin de Véli Korku ouvre des yeux ahuris. Assis à côté de lui, Véli continue de regarder l’écran et hoche la tête. Son histoire est celle d’un homme pris au piège de l’administration. Il n’est pas le seul sans-papiers à se voir refuser un titre de séjour, même après douze ans sur le territoire. Il n’est pas le seul non plus à travailler, à faire ses courses, à changer de logement avec la hantise permanente de se faire arrêter. Il n’est même pas emblématique d’une mécanique ciblée puisque son cousin, issu du même village de Turquie, ou sa sœur, qui habite Strasbourg, ont été régularisés.

Véli est un cas à part, un cas d’école : la préfecture de la Drôme s’obstine à trouver dans son dossier l’élément qui, de recours en recours, justifiera un refus. C’est à se demander si elle ne cherche pas à faire de cet homme seul, divorcé et sans enfants, une preuve de sa fermeté. Il n’a pas le droit de travailler, mais elle lui réclame des fiches de paie. Il prend des cours de français à l’Asti, l’association de défense des étrangers de Valence, « mais la préfecture utilise son niveau de français comme un indice de son manque de volonté, s’offusque Martine, de l’Asti. Véli n’est peut-être pas très doué pour les langues. Est-ce un argument ?   »

Véli Korku a 40 ans, trapu, pas très grand, une voix calme, un visage où se mêlent reconnaissance et inquiétude. Discret, introverti ou un peu gêné par la mobilisation qu’il suscite, il chuchote des précisions à son cousin et laisse les autres parler pour lui dans ces locaux où l’Asti s’est réunie pour évoquer sa situation. Il s’en excuse et remercie avec des sourires, se fait volontiers photographier avec les uns et les autres. Il se tient autour de cette table comme n’importe quel autre membre de cette association à laquelle il appartient depuis 2004, mais intervient peu, comme si quelque chose le retenait ou lui échappait. « Je veux vivre à Valence, travailler à Valence. Comme aujourd’hui », souffle-t-il. Mais sans la peur : d’un retour en Turquie, du gendarme… « Ça n’est pas qu’une menace, prévient Huguette, de l’Asti. Un matin, des policiers ont sonné chez moi. J’avais fait un certificat d’hébergement à Véli. Ils voulaient vérifier qu’il habitait bien là. Je les ai reçus en pyjama. Ils m’ont demandé de leur montrer la chambre d’amis, où étaient ses affaires, et quelle était la nature de notre relation… » Murmures d’indignation. « Tu risquais quoi ? », lance une militante. « Rien, précise Huguette, le délit de solidarité a été supprimé en janvier 2013. Mais la police vérifie, fait de l’intimidation… »

Depuis décembre, Véli est assigné à résidence. En douze ans, il n’a jamais été arrêté. « Pas de centre de rétention », dit-il en secouant la tête. Zéro écart de conduite. Il a travaillé dès son arrivée. « Comme maçon, c’est mon métier. » Il a tenté d’être un migrant modèle, il est devenu un modèle d’étranger expulsable. Véli est d’origine kurde alévie, une minorité musulmane doublement discriminée en Turquie. « Les Alévis pratiquent un islam tolérant qui n’est pas reconnu par les Turcs », explique Yazgül Dogan, membre de cette communauté qui compte une cinquantaine de familles à Valence et une centaine dans la Drôme.

Véli Korku arrive en France le 1er avril 2003. Le 10, il dépose une demande d’asile, rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) deux mois plus tard. Le 15 septembre 2004, son recours est rejeté par la commission de recours des réfugiés. Le 28 septembre, le préfet de la Drôme lui délivre une obligation de quitter le territoire (OQTF). Pendant dix ans, demandes de titres de séjour et OQTF se succèdent. En 2007, il reçoit le parrainage de Jean-Louis Neyron, conseiller municipal PS à Bourg-lès-Valence. L’Asti fonde alors un comité de soutien. En 2014, depuis dix ans en France, Véli dépose une nouvelle demande. Cinquième OQTF. « Manque de preuves de sa présence sur le territoire », assène la préfecture. « Il avait pourtant apporté une promesse d’embauche, souligne Martine. Il a été marié quatre ans à une Kurde, mais, même ça, on le retourne contre lui en arguant que c’était un mariage de complaisance. » En décembre 2014, l’Asti organise une conférence de presse et lance une pétition.

« Véli est devenu un ami et il est très actif au sein de sa communauté, plaide Martine. De quel défaut d’intégration parle-t-on ? Pourquoi cet acharnement ? Les régularisations, c’est à la discrétion du préfet. » Si les préfets changent tous les deux ans, certains dossiers restent bloqués. Véli est l’un d’eux. Un dossier que l’homme ne comprend pas. Ça se lit sur son visage, ça l’écrase, ça le laisse quasiment sans voix.

Société
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