Conservatoire du littoral : Protection rapprochée
Le Conservatoire du littoral a quarante ans. Il élargit son champ d’action pour concilier protection de la nature, agriculture et parfois tourisme.
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Quand le Conservatoire du littoral a été créé, en 1975, son rôle consistait d’abord à préserver des espaces côtiers menacés par des constructions. Dans la vieille tradition française de la protection des sites, sa création constituait une sorte de réponse politique à une célèbre émission télévisée des années 1970, « La France défigurée ». Un programme dénonçant le bétonnage du littoral, et qui passionnait les téléspectateurs. À l’époque, il n’entrait pas dans les attributions du Conservatoire de se préoccuper des écosystèmes, mais simplement de mettre des paysages sous cloche, à l’abri des activités humaines, hormis le volet touristique.
Puis les responsables du Conservatoire commencèrent à aménager et à restaurer les espaces naturels qu’ils géraient. Et, depuis le début du XXIe siècle, ils estiment que la meilleure protection ou l’entretien le plus efficace d’un paysage ou des écosystèmes littoraux consiste soit à maintenir les activités agricoles, soit à les réintroduire. C’est-à-dire d’en faire le plus souvent possible des réserves naturelles compatibles avec une présence humaine. En cette année du quarantième anniversaire du Conservatoire, cette troisième phase qui s’annonce tend à faire la preuve de son efficacité. Car, pour assurer l’entretien d’un grand espace littoral, mieux vaut installer un agriculteur et un élevage extensif que d’y faire passer une faucheuse à moteur plusieurs fois par an. De même, pour maintenir un réseau de petits canaux près d’un marais, il est judicieux d’y installer un ostréiculteur pour les entretenir, car il en aura besoin pour alimenter ses parcs à huîtres. Idem pour les marais salants : afin de les entretenir et de les faire visiter, il est logique de les confier à un paludier qui produira du sel, comme dans les marais de Guérande. C’est le pari que fait Guillemette Rolland, déléguée du Conservatoire pour l’Aquitaine : « Récemment, nous avons installé un ostréiculteur, un éleveur de blondes d’Aquitaine et un pisciculteur dans le domaine de Certes, 560 hectares proches du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin, que nous avons acheté il y a trente ans. Expérience très positive. » Cette orientation nouvelle passionne la déléguée, qui avoue cependant que l’enthousiasme des installés ne suffit pas et qu’il faut les choisir avec soin : « Nous lançons des appels à projets concurrents, incluant des cahiers des charges compatibles avec les professions concernées et le respect des écosystèmes. Les postulants doivent présenter un projet professionnel économiquement viable. Il faut avoir les reins solides pour réussir. La conversion en bio n’est pas une obligation, mais je constate que, dans bien des cas, il s’agit d’une démarche qui s’avère logique. »
Ce fut le cas pour Philippe Sellier, installé il y a dix ans sur 185 hectares près de Pont-Audemer, dans l’estuaire de la Seine (le Conservatoire peut aussi préserver ce type d’espaces). L’éleveur y pratique un élevage extensif de charolais. « Nous avons l’obligation de respecter la faune et la flore, de tenir compte de l’évolution climatique, explique-t-il. Ce qui nous interdit les intrants et limite l’usage des antiparasites. Et nos vaches ne mangent que de l’herbe ! » Pour cet éleveur, qui fut un pionnier, la location des terres a été une chance : « Je n’avais pas de quoi acquérir un tel foncier, c’est trop cher. » Le cahier des charges de ces « fermiers » d’un établissement public ne comporte pas l’obligation d’expliquer aux touristes le détail de leur travail, mais Guillemette Rolland constate qu’ils sont nombreux à le faire. Y compris dans quelques vignobles du Sud de la France achetés par le Conservatoire pour les préserver définitivement. Une manière de concilier environnement, tourisme et pédagogie.