« George Kaplan », de Frédéric Sonntag : À vos masques, prêts…

Avec *George Kaplan,* Frédéric Sonntag signe une brillante comédie sur le rôle de la fiction dans nos sociétés contemporaines.

Anaïs Heluin  • 20 mai 2015 abonné·es
« George Kaplan », de Frédéric Sonntag : À vos masques, prêts…
George Kaplan , de Frédéric Sonntag, au Théâtre de la Tempête jusqu’au 7 juin. www.la-tempete.fr
© Bertrand Faure

Non, l’héroïsme n’est pas mort. Pas tout à fait, du moins. Il s’est réfugié là où il pouvait, s’est adapté aux espaces de plus en plus restreints qui lui sont dévolus. C’est du moins l’avis de Frédéric Sonntag, qui, avec sa compagnie AsaNIsiMAsa, interroge depuis une quinzaine d’années la réaction de ses contemporains face à des catastrophes en marche. La pollution, l’individualisme, la mondialisation. Autant de sujets qui, au théâtre et ailleurs, sont souvent abordés avec platitude et force clichés. Chez Frédéric Sonntag, ils donnent lieu à des fictions dystopiques menées tambour battant par des antihéros qui tentent de conserver tant bien que mal l’illusion de la bravoure. Dernière mouture de l’auteur et metteur en scène, George Kaplan est une satire politique peuplée de ces figures en mal d’héroïsme et de grands récits. À moitié asphyxiés par leurs masques de coq, de superhéros américain ou à l’effigie d’Obama, les membres d’un groupe pseudo-révolutionnaire tentent de réaliser un clip de présentation. «   Nous, Groupe George Kaplan, avons le cœur sensible, l’époque nous sort par les yeux. Depuis longtemps, nous ne sommes plus que les fantômes de nos existences, nous hantons les territoires de nos désertions », commence un des membres du commando. C’est clair, nous sommes en pleine parodie du postmodernisme. En plein règne des histoires à la pelle, aussi.

Chacune des cinq caricatures de militants – interprétées tout en énergie et en finesse par Alexandre Cardin, Florent Guyot, Lisa Sans, Jérémie Sonntag et Fleur Sulmont – a sa version de la genèse et de la mission du collectif. « Opération » pour l’un, « contre-fiction » pour l’autre ou encore « canular », le Groupe George Kaplan (GGK) n’est finalement qu’un nom que ses inventeurs brandissent comme un sabre laser. Mais, à l’ère du tout numérique, ce genre d’arme n’est plus qu’un joujou démodé. George Kaplan est la course absurde d’une poignée d’individus contre le temps de l’obsolescence immédiate. Ils ont beau se retourner les méninges, leur pensée a toujours un train de retard. Ils n’ont d’ailleurs pas le temps d’achever une première ébauche de projet que des policiers improbables viennent les arrêter. Rideau, on passe à autre chose. Dans Lichen-Man, sa précédente création, Frédéric Sonntag exprimait, à travers l’adaptation de la bande dessinée Prestige de l’uniforme, de Micol et Loo Hui Phang (Dupuis, 2005), son goût pour les narrations sur les chapeaux de roue inspirées de la culture populaire. Divisée en trois parties qui n’ont en commun que les comédiens, un humour noir bien senti et le nom de George Kaplan, sa dernière création est plus rythmée encore. De groupe d’activistes, George Kaplan devient héros d’une série télé en cours d’écriture, puis ennemi public n° 1. Du moins selon des hommes politiques qui, en dépit de leur costume noir, emploient un langage étrangement similaire à celui des militants masqués du GGK. Le tout en une heure et demie !

Les interprètes ont la course précise et le jeu de masques chevronné. Surtout, ils ont l’art de susciter une réflexion politique sans passer par le discours. Lichen-Man disait la dégradation de l’héroïsme à travers son héros éponyme, qui sauvait l’humanité en devenant homme-lichen ; George Kaplan traite de la perte des utopies et des dérives totalitaires par un réseau de références diverses qui mènent toutes à George Kaplan. Car ce nom n’apparaît pas seulement dans la Mort aux trousses d’Hitchcock, point de départ du travail de Frédéric Sonntag. Dans le dernier tableau, un exposé met en effet au jour sa récurrence dans bon nombre d’œuvres, dont la plupart appartiennent à des genres dits mineurs. La conspiration des George est en marche, pour notre plus grand bien.

Théâtre
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