Gérard Onesta : « Dix ans après, je reste inconsolable »
Pour Gérard Onesta, nous avons raté l’opportunité de « faire histoire ».
dans l’hebdo N° 1355 Acheter ce numéro
Je ne suis pas un déçu du 29 mai 2005, mais du 30 mai et des mois qui ont suivi. Pour moi, le « oui » était la seule manière juridique de revenir ensuite à la charge pour corriger les gros défauts du TCE : j’étais en effet parfaitement d’accord avec les deux grands arguments des « nonistes » pro-européens, à savoir que ce traité allait constitutionnaliser les politiques – un retour de l’URSS ? – et que le mécanisme permettant son évolution était tellement compliqué qu’il aurait été inopérant, surtout avec un élargissement de l’Union. Cependant, le match n’était pas perdu, nous n’étions qu’à la mi-temps. Une disposition du TCE nous laissait deux ans devant nous pour oser l’Europe rêvée, et j’ai travaillé à établir la jonction entre les « nonistes » de gauche et les partisans d’un texte constitutionnel européen simple – une quinzaine de pages –, débarrassé des deux principales tares que je cite. Dans le prolongement de ce vrai moment de démocratie et d’intelligence qu’a suscité le débat sur le TCE dans l’opinion, nous aurions pu remplir les estrades en appelant à un authentique processus constituant citoyen. Le Parlement européen, à une large majorité, s’était d’ailleurs dit prêt à se saisir vite des nouveaux pouvoirs octroyés par le TCE pour l’améliorer.
La suite, je l’avais prophétisée : un passage en force du libéralisme, concrétisé par le traité de Lisbonne, qui offre toute la boîte à outils nécessaire à l’œuvre du « libre renard dans le libre poulailler » ; les politiques d’austérité qui étranglent la Grèce ; la conduite du Royaume-Uni qui revendique tous les avantages d’une Union sans avoir à porter de clauses sociales ou environnementales. Et un processus d’intégration des citoyens dans l’UE en grand danger. Je me suis rendu compte en 2011 du trauma généré par 2005, à l’occasion des négociations de l’accord électoral PS-EELV : la discussion sur l’Europe a été renvoyée à l’ultime réunion et, sur les 28 propositions que j’avais formulées, pas une seule n’a été retenue ! Au PS, on m’a expliqué qu’il n’y avait rien à gagner sur ce terrain, que des coups à prendre – la trouille au ventre, une vraie régression politique ! Ne pas réinventer l’Union, c’est plus de morts en Méditerranée, zéro pension de retraite dans les pays du Sud de l’Europe, la croissance des emplois précaires au Nord, des politiques énergétiques anti-climat, etc. Il n’existait donc pas de plan B derrière le « non », et cette donne n’aurait en rien été changée par une victoire plus massive de ses partisans le 29 mai. Nous avons raté cette opportunité citoyenne de « faire histoire ». Dix ans après, j’en reste inconsolable. J’ai passé la fin de l’année 2005 à tenter d’organiser la jonction avec les « nonistes » pro-européens pour élaborer ce que j’ai appelé « le plan A+ ». En vain. Et j’en veux aussi aux partisans du « oui » de n’y avoir pas plus contribué.