L’Europe, satellite du Pentagone et de la NSA
TRIBUNE. Des bases d’écoute de la NSA ou une station-relais pour les drones de l’US Air Force sont installées sur le territoire européen.
dans l’hebdo N° 1355 Acheter ce numéro
Les États-Unis font l’objet de critiques réitérées : accords économiques et commerciaux, à l’exemple du Tafta, politique monétaire de la FED et dollarisation du monde, univers digital façonné par Google ou Microsoft, agressivité culturelle et médiatique d’Hollywood à CNN, toile planétaire de bases du Pentagone et de réseaux d’écoute de la NSA, interventions militaires tous azimuts. On ne peut contester à cette politique sa logique. Celle d’une grande puissance qui utilise tous les moyens pour conserver son hégémonie dans un monde qu’elle considère comme antagonique et concurrentiel. Là où s’imbriquent guerres économique, financière, commerciale, technologique, idéologique, de l’information et guerre tout court.
Ce qui est moins logique, c’est le soutien sans réserve des atlantistes européens à cette realpolitik. La référence au « modèle américain », à l’idéologie libérale, leur sentiment d’un monde occidental menacé et la défense de l’économie de marché fondent leur conviction ; mais que signifie, dans les faits, l’allégeance des dirigeants politiques, de puissants réseaux d’influence et des grands médias européens à la bannière étoilée ? Prenons l’exemple du domaine de la défense pour connaître ce qu’induit cette soumission : – Une Europe agrégée dans le système de défense global des États-Unis et sous l’autorité directe du dispositif opérationnel du Pentagone. Étant donné que le commandant en chef du commandement des forces des États-Unis en Europe ^2 (le seul des cinq « commandements interarmées de combat » du département de la Défense hors les États-Unis qui soit doté d’un quartier général avancé) est aussi le commandant suprême de l’Otan. – Une Europe intégrée au système mondial d’écoutes et d’espionnage politique, économique, militaire du réseau Echelon avec, en conformité avec le traité Ukusa [^3], l’installation de bases d’interception à la disposition de la NSA, notamment celle de Menwith Hill en Grande-Bretagne, le plus important centre d’écoutes dans le monde. – Une Europe englobée dans le dispositif du bouclier antimissile ABM, destiné à détecter et à détruire des missiles iraniens à l’origine, « indéterminés » aujourd’hui. Ce dispositif adopté lors d’un sommet de l’Otan comprend, sous le contrôle des États-Unis, la base de Deveselu, en Roumanie, une autre en Pologne et des navires de l’US Marine à Rota, en Espagne. – Une Europe qui participe à la guerre des drones, la base de l’US Air Force de Ramstein, en Allemagne, servant de station-relais aux pilotes de drones de la base états-unienne de Creech, au Nevada, pour les diriger vers l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen et la Somalie.
Ainsi, des gouvernements européens ont ratifié l’installation sur leur continent de bases terrestres, aériennes et navales états-uniennes qui bénéficient d’une totale exterritorialité, pourvoient de manière continue les services de renseignements des États-Unis (sans accéder en retour à la totalité des informations fournies et traitées), acceptent l’installation de dispositifs antimissiles sans disposer d’aucun pouvoir de décision en cas d’utilisation, et collaborent pour diriger des drones vers leurs cibles, ce moyen de guerre high-tech le plus déshumanisé jamais utilisé. À ces complicités, ces abandons de pouvoir, ces choix de subordination, au droit international bafoué, s’ajoute l’abdication. Quand, en 1988, il est révélé que les États-Unis espionnent leurs alliés avec le réseau Echelon, bien que cela touche à des intérêts majeurs et à l’indépendance des États européens, il faut attendre 1998 pour que le Parlement européen demande une étude ! Le document de travail, qui se limitait à la question de la légitimité des écoutes, devait être discuté à Washington. Les autorités américaines ayant considéré inappropriée cette rencontre entre responsables états-uniens et délégués européens, celle-ci a été annulée et l’Europe s’est soumise.
La divulgation, depuis 2013, par Edward Snowden et d’autres d’un espionnage diplomatique, économique et militaire généralisé, n’a pas plus suscité de réactions appropriées ni de mesures de rétorsion. Alors qu’il s’agit d’écoutes des conversations sur le téléphone portable d’Angela Merkel, du siège du Conseil de l’Europe, d’ambassades, de Siemens ou d’Airbus, de l’Élysée et de nombreux États. Jusqu’aux services de renseignements européens qui, à la demande de la NSA, ont espionné leur propre pays ! Mais ce sont Snowden et les lanceurs d’alerte que l’on accuse de trahison. Au vu de ces faits établis et reconnus – « Oui, mes amis d’Europe occidentale, nous vous avons espionnés », a déclaré un ancien directeur de la CIA –, la mise sous contrôle et sous tutelle de l’Europe par les États-Unis doit être dénoncée, mais plus encore sont à condamner les gouvernements qui ravalent l’Europe et leur pays au rang de satellites du Pentagone et de la NSA.
[^2]: Eucom
[^3]: United Kingdom-United States Communications Intelligence Agreement
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