« L’Ombre des femmes », de Philippe Garrel : De la persistance de l’esprit phallocrate
L’Ombre des femmes, de Philippe Garrel, un beau film féministe et très contemporain.
dans l’hebdo N° 1355 Acheter ce numéro
Fidèle au noir et blanc et à une économie de petit budget, Philippe Garrel explore depuis longtemps les cruautés de l’amour. Mais il le fait ici à partir d’un point de vue inhabituel, qui donne à son film, présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, une dimension résolument féministe.
Pierre (Stanislas Merhar), marié avec Manon (Clotilde Courau), a aussi une jeune maîtresse, Élisabeth (Lena Paugam), pour laquelle il ne compte pas quitter sa femme. Élisabeth découvre que Manon entretien elle-même une relation extra-conjugale et l’apprend à Pierre, qui ne parvient pas à surmonter cette révélation, bien que Manon ait immédiatement reconnu sa liaison et mis un terme à celle-ci. Pierre se reconnaît sans difficulté la possibilité d’entretenir deux relations amoureuses – celle avec Manon étant plus chaotique mais certainement plus profonde –, mais il ne le supporte pas pour sa femme. L’action ne se déroule pas pour autant au cours d’une décennie passée – même si Philippe Garrel n’abuse pas des signes de modernité et filme un Paris estival peu peuplé, presque abstrait. Est-ce parce que Stanislas Merhar joue un homme taciturne et sans grande confiance en lui, alors que Clotilde Courau incarne une femme plus volontaire, que l’Ombre des femmes donne une sensation de grande contemporanéité ? Par là, il met au jour ce qu’un homme d’aujourd’hui a hérité d’un comportement phallocrate, prétendument d’un autre âge. La manière de Philippe Garrel n’est pas celle d’un analyste – même si la psychanalyse joue un rôle prédominant chez lui –, encore moins celle d’un militant. Elle est celle d’un artiste qui éprouve compréhension et tendresse pour chacun de ses trois personnages. Il n’en sacrifie aucun et leur souffrance n’est jamais tempérée par un jugement moral que le cinéaste s’autoriserait.
Toutefois, les preuves d’amour les plus nombreuses sont sans aucun doute données par Manon. Jusque dans le travail – aléatoire – qu’elle et Pierre accomplissent ensemble, la réalisation de documentaires, où elle reste en retrait. Ils sont justement en train de procéder à des entretiens avec un vieux résistant quand survient la crise de leur couple. Philippe Garrel introduit alors un élément troublant sur la mystification du témoignage. Ce qui, après coup, ne laisse pas d’interroger sur les apparences de la sincérité, qui est aussi l’un des sujets de ce très beau film.