Peine de mort : « Un travail de sensibilisation »
Le cas du Français Serge Atlaoui a remis en lumière la peine de mort dans le monde. Abolitionniste de longue date, Sandrine Ageorges-Skinner livre son regard sur une évolution très contrastée.
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Ligotés à un poteau et fusillés dans une clairière au milieu de la nuit. Tel a été le sort de huit condamnés à mort (pour trafic de drogue) le mercredi 29 avril, sur une île indonésienne. L’ultime sursis accordé à un ressortissant français, Serge Atlaoui, a au moins eu le mérite de mettre en avant le tableau de la peine capitale dans le monde. Tableau noir s’il en est, même si le nombre d’exécutions a baissé de 22 % par rapport à 2013, tandis que le nombre de condamnations a augmenté de 28 % en un an (voir encadré), sachant qu’il faut distinguer les condamnations des exécutions. Fervente abolitionniste depuis les années 1970 (et précisément depuis l’exécution de Christian Ranucci en 1976), siégeant au conseil d’administration de l’association Ensemble contre la peine de mort depuis 2009, Sandrine Ageorges-Skinner poursuit aujourd’hui encore son combat. Elle est également la femme de Hank Skinner (depuis 2008), condamné à mort au Texas, en 1995, pour un triple homicide pour lequel il a toujours clamé son innocence, dans l’attente d’une interprétation de tests ADN qu’il a réussi à obtenir, mais que le juge américain refuse de reconnaître.
La condamnation à mort de Serge Atlaoui a replacé la peine capitale dans l’actualité. Qu’aurait été cette médiatisation si un Français n’avait pas été concerné ?
Publié en avril, le dernier rapport d’Amnesty International révèle que 607 exécutions ont eu lieu en 2014. Des exécutions qui se partagent notamment entre l’Iran (289), l’Arabie Saoudite (90), l’Irak (61), les États-Unis (35) et le Yémen (22). Encore faut-il ajouter 509 condamnations en Égypte. Ces chiffres ne tiennent pas compte de la Chine et de la Corée du Nord, où les condamnations demeurent secret d’État. Aujourd’hui, 35 pays exécutent encore, par pendaison, fusillade, décapitation ou injection létale (pour trafic de drogue, terrorisme, atteinte à la religion ou opposition politique). Sur les cinq dernières années, entre 2009 et 2014, les chiffres sont plus effarants encore : 1 972 condamnations en Iran, 1 713 au Pakistan, 428 en Irak, plus de 1 800 en Égypte, 522 aux États-Unis.
À l’inverse, en décembre dernier, Madagascar est devenu le 99e pays à abolir la peine de mort. En avril, aux États-Unis (où 32 États sur 50 appliquent la peine de mort), le Nebraska a voté l’abolition. Celle-ci reste cependant suspendue au droit de veto du gouverneur, qui, lui, est favorable à la peine de mort.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de cette cause ces dernières années ?
La tendance est très étrange. Il y a des zones géographiques où les condamnations et les exécutions diminuent, comme aux États-Unis. D’autres où l’on observe une nette augmentation des condamnations à mort. Et, enfin, des pays qui n’avaient pas exécuté depuis longtemps et qui s’y remettent, comme l’Inde, la Jordanie, qui a exécuté récemment onze personnes, Singapour ou le Pakistan, qui a levé en décembre dernier son moratoire sur la peine de mort et a déjà exécuté cent personnes. De leur côté, l’Arabie saoudite et l’Iran poursuivent leurs atrocités. Ce qui nous inquiète, ce sont les pays abolitionnistes de droit qui se posent des questions ou s’apprêtent à revenir en arrière, comme le Mexique, l’Afrique du Sud ou la Hongrie, qui réclame un débat à l’Union européenne, ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui a réinstauré la peine capitale. C’est un moyen politique de répondre à la pression populaire et populiste. Les dirigeants savent pertinemment que la peine de mort n’a pas de valeur dissuasive, mais ils sont à court de moyens pour apaiser leur population. C’est une réponse souvent apportée au terrorisme. Or, on sait bien que, dans ce cadre, la peine de mort ne change rien. Cette année risque malheureusement d’être très noire.
On a tout de même l’impression que le débat avance lentement…
Pas si lentement, en réalité. Certes, nous essuyons là de gros revers, mais, dans les trente dernières années, le nombre de pays abolitionnistes a progressé de façon fulgurante. Sur les 193 États que répertorie l’ONU, 35 pratiquent encore la peine de mort. Mais attention : la petite partie de ces pays qui exécutent représente plus de 60 % de la population mondiale ! Il nous reste donc encore un travail de fond, de sensibilisation et d’éducation à mener avec plusieurs corps de métier différents, dans les pays du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est.
Peut-on dire que la peine capitale révèle la situation politique d’un pays ?
Quand on regarde la carte du monde, c’est évident. En Europe, seul le Belarus pratique la peine de mort, mais c’est une dictature. On observe aussi que c’est dans les pays les plus pauvres, comme l’Iran, l’Afghanistan ou le Pakistan, qui condamnent ou exécutent beaucoup, que se déroulent les trafics de drogue, simplement parce que, pour survivre, les gens sont obligés de faire n’importe quoi. Ils n’ont pas le choix.
On a vu que les pressions diplomatiques ne changent guère les décisions. Quelle est la marge de manœuvre ?
Cela dépend des pays. Historiquement, la France n’a pas de liens particuliers avec l’Indonésie et elle a plus besoin de l’Indonésie que l’inverse. L’Australie avait bien plus de points de pression et ça n’a rien changé, parce que le président indonésien tient un discours populiste. Par ailleurs, il prétend ne pas s’opposer à l’abolition, mais il veut quand même procéder à ces exécutions, concernant au total soixante détenus. Il n’y a aucune cohérence. Dans le cas de Serge Atlaoui, il a eu un avocat qui parlait à peine anglais, il n’a pas eu d’interprète, et il est condamné à une peine aussi lourde que pour un chef de cartel, alors qu’il n’a même jamais transporté ou vendu de drogue ! Quarante-huit heures après que la cour d’appel a demandé la révision de son procès, la Cour suprême a rejeté son avis. On est dans l’arbitraire. Mais il existe un autre levier à une époque où les gens voyagent beaucoup : les touristes doivent savoir où ils vont passer leurs vacances et s’ils veulent cautionner ou non telle ou telle pratique. C’est là aussi un travail de sensibilisation. Il ne s’agit pas d’arrêter de voyager, mais choisir une destination est un acte citoyen.