Pesticides : Du poison par arrêté préfectoral

Guillaume Bodin, jeune travailleur viticole, dénonce dans un documentaire les effets des insecticides déversés en masse sur les vignobles du Mâconnais en 2013.

Thierry Brun  • 7 mai 2015 abonné·es
Pesticides : Du poison par arrêté préfectoral
© Photo : AFP PHOTO / JEFF PACHOUD

Guillaume Bodin s’est installé il y a quatre ans dans le sud de la Saône-et-Loire, dans le village de Vinzelles, non loin de Mâcon. En 2013, ce travailleur viticole de 28 ans, Haut-Savoyard amoureux de la nature, exerce son métier dans le domaine de la Soufrandière, chez les frères Bret, des vignerons réputés qui travaillent en agriculture biodynamique et produisent un grand vin blanc de Bourgogne, le pouilly-vinzelles, à mi-chemin entre pommard et volnay, deux crus prestigieux.

Après Emmanuel Giboulot, viticulteur bio de Côte-d’Or, poursuivi en justice pour avoir refusé de traiter son vignoble avec un insecticide chimique, Thibault Liger-Belair, viticulteur bio à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or) et à Moulin-à-Vent dans le Beaujolais, est convoqué au tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône (Rhône) le 19 mai.

Thibault Liger-Belair est poursuivi pour « refus d’effectuer les mesures de protection des végétaux », en l’espèce la « lutte insecticide contre le vecteur de la flavescence dorée », indique sa convocation devant le tribunal. Emmanuel Giboulot, de son côté, a été relaxé par la cour d’appel de Dijon le 4 décembre 2014 et a pu prouver que l’arrêté préfectoral de 2013 imposant le traitement par un insecticide chimique des vignobles n’avait pas de base légale.

Cette année-là est terrible pour Guillaume : il se met à saigner du nez dans les vignes « quasiment tous les jours ». En cause : un traitement de choc imposé par la préfecture pour lutter contre une maladie de la vigne, la flavescence dorée, qui provoque d’importants dégâts et dont le principal vecteur est la cicadelle, un insecte pondant ses œufs sous l’écorce des bois. « Un foyer s’est développé dans le nord du Mâconnais, à une trentaine de kilomètres de chez nous. Les services de la préfecture n’ont pas vérifié si l’intégralité du vignoble était touchée par la maladie. Ils ont eu peur et, pour se protéger, ils ont ordonné un traitement chimique à l’ensemble du département. » Trois traitements insecticides sont donc imposés par arrêté préfectoral. Alors que « cela faisait dix ans que quasiment personne n’avait traité avec ce genre de produits chimiques toxiques », des tracteurs passent dans les vignobles à longueur de journée, projetant des nuages d’insecticides sous le vent. « On essayait de se protéger avec des masques. Cela a duré trois semaines. On sentait les produits chimiques jusque dans la maison. Avant d’entrer chez moi, je quittais mes chaussures. J’avais l’impression d’avoir les pieds imprégnés de produit et de le déposer partout où je marchais. Je ne pouvais plus faire sécher mon linge dehors. On ne pouvait plus faire de barbecue », raconte Guillaume, qui s’étonne qu’il n’y ait eu « aucune information, aucune indication informant les touristes pour leur dire que nous étions en période de traitement. Cela aurait dû paraître dans les journaux ».

Les conférences de presse de la préfecture se contentent d’indiquer que les traitements n’ont aucun impact sur la vigne et le vin, alors que, « les vignes étant près des cours d’école, les enfants étaient directement exposés, sans parler des traitements qui ont eu lieu au moment même de la récréation ». « Étant donné que je travaillais depuis longtemps dans des domaines en biodynamie, je ne pensais pas être exposé un jour à ce genre de produits », reprend le jeune homme, qui quitte alors son boulot et parcourt la région, enquêtant sur ces épandages qui ont mis sa santé en danger. Il s’inscrit à l’association Phyto-Victimes, se renseigne sur l’impact des insecticides sur la santé et l’environnement, et rencontre des vignerons rassemblés en un collectif qui organise des conférences au lycée viticole de Beaune.

Pour dénoncer ce cauchemar et, surtout, éviter de le revivre, Guillaume décide de réaliser un documentaire quand le viticulteur bio Emmanuel Giboulot refuse de traiter ses vignes et est attaqué en justice (voir encadré). « Je connais bien Emmanuel et j’avais besoin d’enquêter sur la question. C’était presque viscéral de comprendre ce qui s’était passé. Comment on en est arrivé à imposer à des vignerons des produits chimiques. » Les recherches de Guillaume Bodin l’amènent à dévoiler la dangerosité des insecticides chimiques. « Moi qui croyais qu’on pouvait produire du vin en parfaite harmonie avec la nature, je devais être un peu naïf », avoue le réalisateur au début de son documentaire, Insecticide, mon amour  [^2]. L’utilisation de tels produits était-elle justifiée ? Guillaume Bodin estime que non : « En biodynamie comme en conventionnel, un équilibre se crée dans les parcelles. Aussi, cela fait des années que, dans le Mâconnais, on utilise d’autres traitements. Je pense qu’il y avait moyen de traiter de manière chirurgicale, autour des foyers importants. Ainsi, il n’y aurait pas eu d’affaire Giboulot ». Et on aurait évité de mettre en danger des milliers de personnes.

[^2]: Le film est diffusé sur la plateforme des éditions Montparnasse : www.montparnassevod.fr/movie/insecticide-mon-amour

Écologie
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