Réforme du collège : l’enseignement du christianisme n’est pas liquidé au profit de l’islam
TRIBUNE. Professeur d’Histoire-Géo à Chelles (Seine-et-Marne), Jean-Riad Kechaou s’insurge contre une série de contre-vérités dans le débat sur la réforme du collège.
Depuis deux semaines , les critiques fusent sur sa réforme du collège en ciblant notamment le contenu du futur programme d’histoire.
De quoi accuse t-on la réforme ?
Tout simplement de renoncer aux savoirs en nivelant vers le bas les contenus des enseignements. En histoire notamment, on reproche au conseil supérieur des programmes de liquider l’enseignement de la culture française (christianisme médiéval, philosophes des Lumières etc…) au profit de celui de l’islam, de l’esclavage et de la colonisation ! Rien que ça.
Quand c’est Marion Maréchal Le Pen qui lance ce genre d’attaque, on peut aisément le comprendre, ses tracasseries familiales actuelles l’empêchent peut-être aussi de lire ces nouveaux programmes d’histoire. Passons.
Mais, on est obligé de réagir quand François Fillon fait le même raccourci le 5 mai au micro de RTL. « Pardon de citer les textes, mais en cinquième, il est obligatoire d’étudier ‘L’islam : débuts, expansion et cultures’ et facultatif d’étudier ‘Une société rurale encadrée par l’Église’ » , s’est donc ému notre ancien premier ministre.
Texte initialement publié sur le blog de Jean-Riad Kechaou.
Alors la question que l’on doit se poser est la suivante : est-ce de l’incompétence ou une stratégie politicienne pour attaquer la ministre sur un sujet prisé par les polémistes ? Les réseaux sociaux se sont ainsi enflammés sur la peur de voir nos ados se faire islamiser dans nos collèges sur les ordres d’une crypto-islamiste ! On nage en plein délire !
Rétablir les contre-vérités
Primo, les cours d’histoire sur le fait religieux ne sont pas du catéchisme et il s’agit de permettre aux élèves de décrypter un monde complexe, nettement influencé par ces faits religieux. Ils sont donc plus que jamais nécessaires.
Deuxio, il n’y aucune nouveauté, contrairement à ce que certains ont laissé entendre, sur l’enseignement de l’islam et de la civilisation qui en découle. C’était déjà le cas il y a 20 ans. Pas de changement notable donc et Alain Finkelkraut ferait mieux de se taire ou de se référer aux précédents programmes plutôt que de critiquer la « présentation embellissante de la religion et de la civilisation musulmanes » dans le Figaro.
Tertio, rassurons nous, le christianisme et le judaïsme seront également enseignés, mais en sixième, comme l’indique le tableau ci-dessous.
Tous ces gens qui oeuvrent sans relâche pour des politiciens sans scrupule lorsqu’il s’agit de faire le buzz auraient dû comprendre que le programme du collège se divise en deux parties bien distinctes. Ce qui leur aurait évité d’oublier le programme d’histoire enseigné en sixième.
La classe de sixième est en effet la dernière année du cycle 3 (CM1, CM2 et sixième) alors que les trois autres niveaux du collège (cinquième, quatrième et troisième) appartiennent au cycle 4.
C’est d’ailleurs un point de la réforme du collège intéressant : elle renforce le lien entre l’école élémentaire et le collège, ce qui était déjà le cas dans les réseaux d’éducation prioritaire. C’est une très bonne chose et il faudrait aussi donner les moyens horaires aux enseignants du primaire et du secondaire de se concerter davantage afin de fluidifier ce passage en sixième.
L’école primaire, la grande oubliée du gouvernement, qui en dehors des rythmes scolaires n’a rien fait ! Il faudrait pourtant mettre le paquet dès la grande section de maternelle pour s’assurer d’avoir moins d’élèves en grande difficulté à l’entrée au collège. Mettre le paquet, c’est par exemple deux enseignants en CP pour mieux réussir l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Le christianisme obligatoire en sixième, le clergé facultatif en cinquième
Lorsque l’on lit attentivement le programme d’histoire au collège, dans deux fichiers différents donc, l’un consacré au cycle 3 et l’autre au cycle 4, on se rend compte qu’il n’y a aucune révolution si ce n’est de rendre facultatif certains chapitres pour libérer justement du temps au projet pluridisciplinaire, qui est l’élément essentiel de la réforme du collège.
Les chapitres sur les trois religions monothéistes sont donc obligatoires alors que effectivement, ce n’est pas le cas du chapitre sur la société rurale encadrée par le clergé. Contrairement à ce que François Fillon a donc laissé supposer, ce chapitre de cinquième n’est pas celui où on enseigne le christianisme d’une manière frontale : vie de Jésus, rôle des apôtres, fondations des premières communautés chrétiennes… Mais où l’on enseigne le rôle du clergé au Moyen-âge, encadrant des populations majoritairement rurales (types de clergé, ordres religieux, croyances, impôts, sacrements, arts religieux, croisades …)
Sans détour, ce chapitre n’est pas essentiel pour une meilleure compréhension du monde. Les professeurs qui le jugeront important pourront s’y arrêter, d’ailleurs, s’ils le veulent. Quand aux élèves qui se destinent à des études plus longues, ils auront encore du temps dans leur cursus scolaire pour découvrir Saint François d’Assise et l’art religieux médiéval.
Combien de Français peuvent décrire l’ordre des Franciscains ?
Arrêtons d’être hypocrite: combien de Français peuvent aujourd’hui décrire l’ordre des Franciscains ou le passage de l’art roman à l’art gothique avec les révolutions techniques qui l’accompagnent ?
Idem pour tous ces intellectuels qui s’offusquent du classement dans les enseignements facultatifs du chapitre sur les philosophes des Lumières. Rassurons-les, si on met de côté ce chapitre, Rousseau, Voltaire et autres Montesquieu peuvent toujours être étudiés lorsqu’on enseigne la Révolution française. On le faisait déjà de cette manière en classe de seconde avec les anciens programmes (en l’insérant dans les causes de la Révolution).
Quant à l’enseignement de la traite négrière et de la colonisation, rien de nouveau non plus : il est normal que l’on continue à le faire car comment comprendre sinon l’appartenance à la communauté nationale des Français d’origine antillaise et africaine ? Il ne s’agit pas comme certains le pensent d’avoir honte d’être français mais d’assumer une partie plus sombre de notre histoire.
Libérer du temps pour un apprentissage différent
Cette réforme allège les contenus des enseignements non pas comme certains le laissent suggérer pour accélérer un nivellement vers le bas mais pour libérer du temps à un apprentissage différent, où l’élève participe davantage dans la construction de son savoir.
On donne ainsi une certaine autonomie aux équipes pédagogiques pour s’adapter aux besoins et aux niveaux des élèves. La pédagogie de projets a fait ses preuves et c’est donc une bonne chose car le collège unique tel qu’il existe depuis 1975 n’est pas adapté pour plus d’un tiers de nos élèves, qui sont en échec et en souffrance.
Manque de moyens et sacrifice des langues
Ce qui est plus dérangeant dans cette réforme, c’est le manque de moyens, notamment humains pour la réussir. 4 000 postes, c’est dérisoire. On ne peut mener des projets avec des classes de 30 élèves.
L’autre souci majeur, c’est le fait de sacrifier sans raison les classes européennes (et donc la langue allemande) et les langues anciennes, car cela fonctionne très bien et permet aux élèves qui le souhaitent d’approfondir leurs connaissances de la langue française. Dans certains collèges sensibles, ne le nions pas, cela rassure aussi certains parents qui se disent que leurs enfants seront dans de bonnes classes.
Malgré tout, que cela fait plaisir de voir les Français s’intéresser vraiment au collège ! Une réforme était nécessaire et celle-ci va dans le bon sens même si elle manque clairement d’ambitions.
N’en déplaise à tous ces anciens bons élèves qui critiquent cette réforme, il y a aussi dans nos classes des enfants en difficulté qui doivent également apprendre. Ceux qui lisent mal à l’entrée en sixième, qui décrochent, qui font des bêtises et qui sont ensuite pointés du doigt pour montrer l’échec de notre système.
Voici les programmes (projets) du conseil supérieur des programmes :
Edito vidéo du 13 mai 2015 :
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