Royaume-Uni : Au programme, austérité et xénophobie
Après une victoire aussi nette qu’inattendue, David Cameron annonce cinq années de régression sociale et ravive la flamme thatchérienne. Correspondance, Emmanuel Sanséau.
dans l’hebdo N° 1353 Acheter ce numéro
«Un résultat cauchemardesque [^2] ». Voilà la réaction de la gauche au lendemain du scrutin qui a vu David Cameron obtenir, jeudi dernier, un nouveau mandat à la tête du Royaume-Uni. Un résultat d’autant plus abrupt que les sondages prédisaient « les élections les plus incertaines d’une génération », nourrissant l’espoir d’une éventuelle coalition anti-Tories. Grossière erreur de calcul : le chef des conservateurs a désormais les mains libres pour gouverner sans alliance avec les libéraux démocrates et peut se délecter d’une véritable hécatombe parmi ses adversaires. En l’occurrence, les démissions du chef des travaillistes, Edward Miliband, et de son ancien partenaire de coalition, Nick Clegg. Si celle du chef de l’UKIP a été rejetée par le comité national exécutif de son parti le 12 mai, Nigel Farage a dû renoncer à son espoir d’une entrée fracassante à Westminster. Même le bras droit de Miliband, Edward Balls, préposé au ministère des Finances, a perdu son siège. À la promesse d’une lutte timorée contre les inégalités sociales, les Britanniques ont préféré le leadership ferme de David Cameron, l’annonce d’un « futur stable et brillant » et… cinq années supplémentaires de matraquage austéritaire.
En contraste avec la défaite du Labour, la victoire des nationalistes écossais paraît éclatante. C’est d’ailleurs la seule que les sondeurs avaient vu venir : 56 sur 59 sièges remportés par le Scottish National Party (SNP), contre seulement 6 aux législatives de 2010. « Plus qu’historiques, ces résultats façonnent notre époque », jubilait la présidente du parti, Nicola Sturgeon. Davantage marquée à gauche qu’Edward Miliband, elle a su attirer la moitié des suffrages écossais contre « le consensus austéritaire économiquement insoutenable » de Westminster. Si l’échec du « oui » au référendum sur l’indépendance de septembre dernier a clairement galvanisé le parti – qui a depuis lors vu le nombre de ses militants exploser –, la campagne de M. Cameron visant à ridiculiser une alliance Labour-SNP semble avoir autant nui à M. Miliband qu’exacerbé le ressentiment écossais. Longtemps considérée comme une citadelle travailliste, l’Écosse fait désormais entrer les nationalistes au cœur des rapports de force du mandat conservateur. À tel point que, si David Cameron renâcle à davantage de décentralisation au nord, des responsables du SNP envisagent déjà un nouveau référendum indépendantiste. Pour ce qui est du « futur brillant » agité en étendard par les conservateurs, il sera passé au filtre des déterminismes sociaux. De fait, les 120 000 fortunés qui profitent du statut fiscal de non-résident, permettant d’éviter l’impôt sur leurs richesses gagnées à l’étranger et un temps « menacés » par les promesses d’Ed Miliband, peuvent maintenant vivre en paix. « Les riches poussent un soupir de soulagement après la victoire des Tories », pavoisait le Financial Times. Pour les pauvres, ce sera une autre affaire. Tandis que, à peine 24 heures après l’annonce des résultats, le département du Travail et des Retraites examinait de nouvelles coupes dans son programme d’aide à l’emploi des personnes handicapées, le gouvernement s’apprête à contraindre les jeunes chômeurs (de plus de six mois) à effectuer des travaux communautaires, sous peine de voir leurs allocations suspendues. Les personnes obèses ou malades pourraient d’ailleurs connaître un destin similaire : en février, David Cameron envisageait de supprimer leurs indemnités si elles « refusent d’être traitées ». Et pour les mauvaises langues qui crieraient au darwinisme social, le Premier ministre assurait que le travail prévaut sans exception sur « une vie dépendante des aides sociales » .
N’oublions pas que les ambitions austéritaires des conservateurs sont claires : 30 milliards de coupes prévues dans les dépenses publiques d’ici à 2018. David Cameron n’a donc pas manqué de raviver la flamme thatchérienne au cours de sa campagne. Alors que 5 millions de personnes [^3] sont sur liste d’attente pour des logements sociaux, le Premier ministre a promis à leurs occupants le droit d’en devenir propriétaires pour une bouchée de pain (environ 100 000 livres pour Londres, soit 137 000 euros). La manœuvre devrait concerner 1,3 million de locataires – sûrement autant de nouveaux électeurs conservateurs – et fait directement allégeance au programme de la Dame de fer à l’aube de sa révolte néolibérale. Mais rassurons-nous, tout cela n’a rien d’idéologique, c’est uniquement pour « équilibrer les comptes publics ». Quant aux grèves dans les services publics (dont les salaires stagnent depuis 2010), elles ne seront autorisées qu’à condition d’être votées par au moins 40 % des fonctionnaires syndiqués. Rappelons à cet effet que les conservateurs n’aiment pas beaucoup la démocratie : en 2012, l’un d’entre eux assurait que « certains leaders syndicaux poussent à des grèves futiles et irresponsables qui ne profitent à personne ».
Dans l’agenda qu’ils présenteront fin mai lors du Queen’s speech, les conservateurs poseront les bases d’un brûlant référendum : les Britanniques souhaitent-ils quitter l’Union européenne ? S’il assure préférer une renégociation des termes de l’adhésion du Royaume à un « Brexit » (envisagé pour 2016), David Cameron a principalement dans son viseur la libre circulation des travailleurs et l’accès pour les immigrés au système social. Le dernier sondage réalisé par l’institut YouGov, en février, indiquait une légère avance du vote pro-européen. Pour autant, dans un champ social délétère où l’immigré fait le bouc émissaire commode des conservateurs, nul doute que les frustrations des Britanniques pourraient facilement être dirigées contre le carcan européen.
[^2]: The Guardian, mai 2015.
[^3]: Selon le syndicat du bâtiment UCATT.