Un train de retard pour le climat
À l’étude depuis plus de dix ans, le projet d’autoroute ferroviaire Atlantique vient d’être interrompu, signe d’une politique peu volontaire en termes de lutte contre la pollution.
dans l’hebdo N° 1353 Acheter ce numéro
Alors que Paris s’apprête à recevoir à la fin de l’année la Conférence sur le climat et que la France est de nouveau rappelée à l’ordre par l’Union européenne pour dépassement des limites d’émission de particules fines, le gouvernement vient de suspendre l’autoroute ferroviaire Atlantique (AFA). « L’État ne signera pas le contrat de mise en œuvre » prévu avec Lorry Rail, et arrivé à échéance, a indiqué, jeudi 30 avril, le secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies. Ce projet, qui prévoyait de transporter 85 000 camions par an d’ici à 2016 entre Tarnos (Landes) et Dourges (Pas-de-Calais), aurait pourtant permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre en décongestionnant un axe routier surchargé. Remisés sans date de reprise, les plans de l’AFA attendent désormais les négociations avec l’Espagne, annoncées par Alain Vidalies.
Les raisons invoquées à cette mise au placard sont plutôt sommaires et suscitent des interrogations. En plus du coût, estimé à 375 millions d’euros, Alain Vidalies évoque « des conséquences pour les populations » et un terminal « mal choisi ». Des éléments pourtant connus depuis le lancement du projet, en novembre 2013. À l’époque, le gouvernement est déjà en possession du rapport du Commissariat général à l’investissement (CGI), qui rend un avis négatif sur la rentabilité de cette autoroute ferroviaire. Selon ses conclusions, le projet profite davantage à l’Europe qu’à la France, notamment en matière de réduction d’émissions de CO2. Alors que l’Hexagone assume la totalité du coût, seuls les pays terminaux (la péninsule ibérique et le nord de l’Europe) bénéficient des baisses d’émissions dans leurs bilans nationaux. « Ce qui pourrait justifier une contribution européenne substantielle », conclut l’avis. Or, selon Karima Delli, députée européenne EELV, « l’Union était prête à cofinancer ce projet au titre du Mécanisme pour l’interconnexion de l’Europe (MIE) », dont l’aide peut aller jusqu’à 40 % de l’investissement. Ce qui pourrait expliquer la différence entre le coût annoncé par le ministère (375 millions d’euros) et celui du CGI, fixé à 400 millions. Pourquoi suspendre l’AFA si l’Europe prend sa part ? « L’abandon de l’autoroute ferroviaire est une conséquence du renoncement à l’écotaxe », fait valoir Karima Delli. Même si les coûts d’investissement auraient pu s’équilibrer avec une subvention européenne, le retrait des revenus liés à l’écotaxe (comptabilisés dans l’avis de 2013) grève durement le bilan général. Si le gouvernement cherche à faire des économies, la cause est peut-être à chercher du côté d’autres projets, comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et la liaison ferroviaire Lyon-Turin, autrement plus coûteux et très contestés. Estimé à près de 5 milliards pour la France, le tunnel de base transalpin a été confirmé par le secrétaire d’État aux Transports le 20 mars. Grâce, entre autres, à l’aide européenne du MIE. Est-ce le projet de l’AFA qui manque d’équilibre, ou la politique gouvernementale ?
Inquiet de cette décision, Michel Dubromel, vice-président de France nature environnement considère « comme une provocation l’invocation de motifs environnementaux ». L’implantation à Tarnos n’était pas idéale, reconnaît-il, et nécessitait des aménagements pour préserver le confort de vie. Mais l’État en avait décidé ainsi en retenant, dès 2009, la proposition de Lorry Rail de s’installer à Tarnos plutôt qu’à Mouguerre (de l’autre côté de Bayonne). Pourquoi changer d’avis maintenant ? L’intérêt des populations devient-il un argument bien pratique pour justifier un abandon difficilement justifiable ? Selon Alain Cambi, représentant des salariés à SUD-Rail, l’État cherche à apaiser la région, déjà agitée par la contestation à Sivens. Si les motifs de la suspension du projet sont flous, les conséquences sont bien réelles, selon Michel Dubromel. En plus de pénaliser l’intérêt général et la santé des citoyens, ce nouveau renoncement signale aux industriels que la France n’est pas un partenaire fiable. « Il n’y a pas de politique d’ensemble », regrette Alain Cambi, rappelant que le fret régresse en France depuis dix ans, contrairement à l’Allemagne, qui n’a pas flanché sur l’écotaxe. L’État oublierait-il son engagement, pris il y a six ans, de créer d’ici à 2020 un véritable réseau d’autoroutes ferroviaires ?