Contre le racisme de classe
Les propos discriminatoires envers les pauvres ainsi que l’exclusion de certains droits pour raisons économiques ou sociales pourront être jugés devant un tribunal : ainsi en a décidé le Sénat.
dans l’hebdo N° 1359 Acheter ce numéro
Des élus seront-ils un jour attaqués en justice pour des propos discriminatoires envers les pauvres ? Cette question peut se poser depuis qu’une proposition de loi inscrivant un nouveau critère de discrimination, « à raison de la précarité sociale », dans le code pénal et dans le code du travail (voir encadré) a été adoptée en première lecture au Sénat le 18 juin.
« Il n’est pas si loin le temps où un ministre de la République dénonçait les supposées “dérives de l’assistanat”, “cancer”, selon lui, “de la société française” », rappelle le sénateur socialiste Yannick Vaugrenard, auteur du texte, adopté sans vote « contre » de la part de l’opposition. Il compte intervenir auprès du gouvernement et des députés afin que le texte soit examiné et adopté à l’Assemblée dans les mêmes termes cet automne. Nombre de propos de ce genre ainsi que l’exclusion de certains droits pour des raisons sociales ou économiques pourront être jugés devant un tribunal. « Il s’agit de combattre la stigmatisation des personnes en grande pauvreté et de faire en sorte qu’elles se disent : “Ce n’est pas de ma faute si je suis dans la précarité, je suis citoyen, j’ai des droits à exercer” pour sortir de la précarité », explique Pierre-Yves Madignier, président du mouvement ATD Quart Monde, une des quarante associations et syndicats qui bataillent depuis 2009 pour que ce critère de discrimination soit inscrit dans la loi.
Pour franchir le cap du Conseil constitutionnel, l’article unique de la proposition de loi a été reformulé par les juristes. Il concerne la discrimination des personnes en raison « de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue ». Mais l’intitulé de la proposition de loi ne change pas et vise à lutter contre la discrimination « à raison de la situation économique ou sociale ».
« Des enfants se font traiter de “cas soc’” dans la cour de récréation parce qu’un des parents est au chômage ou touche le RSA », souligne Typhaine Cornacchiari d’ATD-Quart Monde. « Des médecins n’accordent pas de rendez-vous à des malades parce qu’ils bénéficient de la CMU, des CV sont ignorés parce que le postulant vit dans un centre d’hébergement », relève encore ATD Quart Monde. Les allocataires du RSA, des « fraudeurs » en puissance pour le député Laurent Wauquiez, homme fort des Républicains, sont la cible privilégiée des pourfendeurs de l’assistanat. Or, « combien de nos concitoyens préfèrent ne pas demander les prestations auxquelles ils ont droit, et qui pourraient leur apporter un réel soutien, de peur justement d’être stigmatisés ? », interroge Yannick Vaugrenard, pour qui « il est temps de reconnaître la réalité de la discrimination pour précarité sociale, et de la sanctionner » .
Pierre-Yves Madignier estime que cette législation sera une première étape vers un changement de regard : « On vise des faits et des comportements discriminatoires, des situations dans lesquelles on peut mettre en évidence un écart de traitement défavorable parce que quelqu’un présente les signes apparents de difficultés liées à la pauvreté. » « Disons-le clairement : la pauvreté est une violation des droits humains », a lancé Yannick Vaugrenard lors de son intervention au Sénat, et la reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale est un moyen de la mettre en évidence. Avec l’appui du gouvernement ?