De quelques réputations fabriquées
Pascal Boniface s’interroge sur la construction médiatique de personnages qui savent habilement servir les « bonnes causes ».
dans l’hebdo N° 1357 Acheter ce numéro
Dans l’espace médiatique, un mot bien choisi et répété à l’infini peut suffire à créer une réputation. Ainsi, on sait depuis longtemps que l’islamologue Tariq Ramadan est un « intellectuel musulman controversé ». Un terme d’autant plus spécieux qu’il est allusif et utilisé par ceux-là même qui alimentent la « controverse ». Et voilà, à l’opposé, un homme – musulman lui aussi – qui est « courageux ». C’est l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi. Le chapitre dans lequel le politologue Pascal Boniface interroge ce procédé relevant, il faut bien le dire, du bourrage de crâne est peut-être le plus fort du dernier livre du directeur de l’Iris. Bien sûr, dans sa galerie de portraits des Pompiers pyromanes, Boniface se paye d’autres personnages de bonne réputation médiatique, comme Frédéric Encel, Caroline Fourest ou même BHL. Mais que n’a-t-on pas déjà dit sur ces derniers ? Le cas Chalghoumi est plus mystérieux. D’où vient la soudaine gloire de ce personnage ? Un imam de banlieue qui a eu l’insigne privilège d’écrire un livre avec David Pujadas et d’être installé au premier rang du meeting de Nicolas Sarkozy à Villepinte en mars 2012. Boniface décrypte son discours. Chalghoumi est « pour » le dialogue judéo-musulman, « pour » une solution à deux États au Proche-Orient, « pour » la paix et « contre » l’antisémitisme. Mais, il n’est pas le seul, et on ne saurait s’en plaindre.
Il faut donc y voir* *de plus près. Premier indice : il rejette le concept d’islamophobie. Mais c’est surtout l’itinéraire du personnage qui intrigue. Formé à la théologie au Pakistan, à l’école fondamentaliste tabligh, il arrive en France en 1996, où il prône le jihad. Bientôt président d’une association culturelle des musulmans de Drancy, il remplace un jour l’imam pour la prière. Le voilà promu. Mais rien de tout ça, évidemment, ne justifie l’engouement que suscite sa personne. Un signe tout de même : dans le Figaro, il confie avoir scolarisé ses enfants dans une école catholique après avoir vu une photo de classe où sa fille « n’était entourée que de blacks et de beurs ». Drôle d’imam qui fuit la compagnie des Arabes ! Comme le dit la journaliste, admirative : « Chalghoumi bouscule allégrement le politiquement correct. » On aperçoit le « courage ». Mais c’est son positionnement politique dans le conflit israélo-palestinien qui emporte l’adhésion de Caroline Fourest et de quelques autres. En 2009, il se rend en Israël pendant les bombardements sur Gaza sans manifester l’ombre d’une critique. Un jour, il juge que « la cause palestinienne rapporte » ; un autre, il invite les jeunes à s’occuper plutôt de « notre propre Gaza ». Puis le voilà qui organise un voyage en Israël « pour développer l’économie et l’amitié avec le peuple israélien ». Inutile de préciser que les pèlerins de Chalghoumi sont choyés… et logés au Ritz. « Pas un mot, note Boniface, sur l’occupation ni sur le conflit. » En janvier 2015, l’imam participe au dîner du Crif alors que le pourtant très consensuel Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, boycotte cette manifestation pour protester contre un nouveau dérapage antimusulman de Roger Cukierman. Le journaliste Claude Askolovitch relève qu’a fleuri « dans la France musulmane l’idée d’un imam marionnette du pouvoir et des sionistes ». À surjouer le rôle du « bon musulman » pro-israélien, Chalghoumi finit par ne plus servir à rien, quand il n’alimente pas la paranoïa antisémite. Un vrai pompier pyromane.
C’est encore le système médiatique qui est interrogé par Boniface dans le cas de l’étrange couple qui unit paradoxalement le journaliste militant Frédéric Haziza et Alain Soral. Celui qui traite tout le monde d’antisémite et celui qui l’est réellement. Pour Boniface, c’est « le couple parfait » : « Ils s’invectivent publiquement mais se renforcent mutuellement. » En juillet 2013, dans une vidéo, Soral déverse un torrent de boue sur le journaliste de LCP et de Radio J. Et il demande l’exclusion d’Haziza de la chaîne parlementaire. Indignation légitime et mobilisation en faveur d’Haziza. Le problème, selon Boniface, c’est que la campagne de Soral a rendu Haziza « intouchable et délirant ». Désormais indéboulonnable, il insulte quiconque critique la politique israélienne. Boniface est d’ailleurs l’une de ses cibles favorites. Haziza peut traiter un confrère d’héritier de Vichy ou de « soralien », quand il ne se livre pas à des menaces physiques, sans que cela suscite un froncement de sourcil en haut lieu. Le livre de Pascal Boniface souligne une nouvelle fois l’importance du conflit israélo-palestinien dans la société française. Il propose aussi une analyse d’un système médiatique grégaire et pas toujours… courageux.