La Grèce rallume le poste
Syriza a tenu sa promesse. Deux ans après l’arrêt brutal des programmes, l’audiovisuel public hellène a repris du service le 11 juin.
dans l’hebdo N° 1359 Acheter ce numéro
Hasard du calendrier ? Sans doute pas. Ce jeudi 11 juin, à 6 heures du matin, Elliniki Radiofonia Tileorasi (ERT) a de nouveau émis, non sans émotion sous l’hymne national, depuis ses locaux historiques au nord d’Athènes. Tout juste deux ans après sa fermeture, le 11 juin 2013. Une décision brutale alors, sans préavis, du précédent gouvernement conservateur d’Antonis Samaras, qui avait soulevé l’indignation des Grecs et partout en Europe.
Avec ses trois chaînes et ses stations radio, comptant près de 2 650 salariés, le groupe public était accusé de mauvaise gestion, de personnel pléthorique, de gaspillages. Sous prétexte d’économies sur le nombre de ses fonctionnaires, l’État privait ainsi sa population d’une source majeure d’information. Il se débarrassait surtout d’un regard critique sur son régime, au profit des seules chaînes privées. La Grèce devenait le seul État membre de l’Europe sans audiovisuel public, contrairement à un principe élémentaire inscrit au traité d’Amsterdam. Un mois plus tard, le Conseil d’État grec avait imposé le retour à un service public. Au forceps, rafistolé avec quelque 500 personnes pour assurer les maigres programmes proposés (non sans créer des tensions entre les salariés restés sur le carreau, dans une totale précarité, et ceux qui ont poursuivi leur collaboration). Une télé rebaptisée « DT », avant de prendre le nom de « Nerit », faite de rediffusions de films des années 1960 et 1970, de documentaires et de magazines musicaux, avec un journal tournant à la propagande. Deux ans de simulacre de télévision publique, c’est long.
Le rétablissement d’ERT était l’une des promesses électorales de Syriza. Fin avril, sous la houlette du parti majoritaire, le Parlement donnait son feu vert (Nouvelle Démocratie, le parti de droite, a voté contre). C’est maintenant chose faite. L’audiovisuel retrouve l’antenne et son nom. Selon la loi, le coût de l’ERT s’élèverait à 60 millions d’euros par an, contre 300 millions avant sa fermeture. Son financement sera assuré par une redevance fixée à 3 euros par mois (elle était de 4,20 euros en 2013). Ce ne sont pas moins de 1 550 salariés qui sont maintenant réintégrés. C’était une autre promesse d’Alexis Tsipras. Encore faudra-t-il effacer les tensions et les aigreurs entre ceux qui avaient été licenciés et ceux qui ont continué avec la télé de Samaras, tandis que les coûts de fonctionnement ont été revus à la baisse : le salaire moyen à ERT tourne autour de 700 euros par mois. Même les stars et les cadres ne dépassent pas les 3 000 euros mensuels. Dans un contexte économique évidemment lourd, il a été demandé à ceux qui avaient été licenciés en 2013, et maintenant de retour, de rembourser leurs indemnités. De quoi faire grincer les salariés, a fortiori quand ces indemnités ont tout simplement permis de survivre durant ces deux années.
Restent que les programmes ont repris des couleurs : économie et politique, documentaires, débats sur l’actualité et des journaux télé. En toute indépendance surtout. « Cela tient aussi à nous, relève Christina Siganidou, journaliste à ERT, spécialisée dans les affaires européennes et présentatrice d’un JT. Nous ne sommes plus une masse anonyme, qui va chercher son salaire, sans rien dire. On s’est battus pour un média libre. » En attendant, il faut faire avec les moyens du bord. « Tout dépend de l’ambiance qui va régner, observe encore Christina Siganidou. On peut faire de la télé intéressante, si les gens sont motivés. Voilà le pari pour les futurs dirigeants. » D’autant que devant le poste, « le public a rajeuni. Comme on n’avait pas de fréquences officielles, il a découvert la communication via Internet, pour s’informer ». Le chantier de reconstruction sera donc long. « On a mené des batailles amères mais, au fond, on sait que les gens sont avec nous, solidaires des mouvements de base. On a forgé un lien magnifique avec la société, conclut Christina Siganidou. Nous nous sentons entourés, et les gens sont heureux de revoir le logo d’ERT sur leur écran ! »