« La Ligne de couleur » : Blessures d’enfants
Dans la Ligne de couleur, onze Français racontent comment ils sont victimes du racisme.
dans l’hebdo N° 1358 Acheter ce numéro
Il est né à Montreuil de parents antillais. « Et pourtant, on m’a toujours pris pour un Arabe ». Quand elle a passé le concours de l’école de la rue Blanche, un membre du jury aurait dit : « Qu’est ce qu’on va faire d’une Japonaise au théâtre ? » Elle s’est orientée vers le doublage, où on lui fait faire la voix… de comédiennes asiatiques. « Suis-je bien accepté en France ? », se demandait-il. Quand son entreprise lui propose de s’expatrier à Canton, il y voit l’occasion d’aller découvrir ce pays dont les gens disent que c’est le sien. Les onze personnes qui témoignent devant la caméra de Laurence Petit-Jouvet sont nées en France. Ce qu’elles racontent dans la Ligne de couleur, à travers leur lettre à un proche, ce sont les stéréotypes et discriminations qui leur pèsent depuis l’enfance.
Parfois leur voix est off sur fond d’images du lieu dans lequel elles ont choisi d’apparaître : chez elles, devant la maternité de Mayenne où il était le seul nouveau-né noir, dans le studio du Mouv’ où il anime une émission, à cet endroit de la rue de Rennes, à Paris, où les flics l’ont fouillé puis frappé. Parfois ils lisent leur texte face caméra. Alors, leur ton se fait limite enfantin et rappelle l’élève qui dit sa poésie avec l’application de celui qui est touché par les mots. Le plus troublant dans ces témoignages d’adultes, ce sont les cicatrices de leurs blessures d’enfants. Ces phrases entendues à l’école ou qu’ils se répètent à eux-mêmes : « Toi, ça va, tu es Noir clair » ; « Tu n’iras pas bien loin dans la vie » ; ou encore : « Plus tard, je serai Blanc. » Elles prennent une dimension différente selon qu’ils s’adressent à un de leurs parents ou à leur enfant. Qu’ils saluent l’héritage ou s’interrogent sur ce qu’ils vont transmettre, tous manifestent une volonté d’en découdre avec les phénomènes d’identification, de reproduction et de domination.
Dans la France dont ils parlent, la ligne de fracture entre les Blancs (riches) et les gens de couleur (pauvres) persiste. Comme ce pont qui apparaît sur ces dessins d’enfants et qu’une petite de la cité doit franchir pour rejoindre sa nouvelle école dans un quartier pavillonnaire. Laurence Petit-Jouvet fouille des recoins de notre réalité rarement mis en exergue : telle psychologue explique qu’elle travaille sur les motivations des émeutiers de 2005, tel maire adjoint de Clichy-sous-Bois écrit à Zyed et Bouna que leur mort a fait basculer sa vie. Mais c’est quand une jeune femme filmée de près évoque en dénouant les tresses de sa fille la honte qu’elle avait de ses cheveux crépus, que la réalisatrice donne à sentir toute la complexité de son enquête.