L’agriculture biologique entre à l’hôpital

Le Printemps bio, du 1er au 15 juin, est l’occasion pour les acteurs du secteur de promouvoir leur démarche. Au CHU de Reims, le service de restauration a introduit des produits bio dans ses cuisines.

Julia Gualtieri  • 3 juin 2015 abonnés
L’agriculture biologique entre à l’hôpital
© Photo : AFP PHOTO / FRED DUFOUR

Le pôle logistique du CHU de Reims est un grand bâtiment carré de 4 000 m2 recouvert d’une tôle grise. Autour de l’entrée, de vastes ouvertures attendent les camions qui livrent la blanchisserie et les cuisines. Tout est calibré pour accueillir des stocks qui se comptent en centaines de kilos pour assurer quelque 9 000 repas quotidiens. Alors, en 2010, quand un des premiers producteurs de bio arrive dans une camionnette avec sa famille, son chien et des tomates de toute sorte, c’est la rencontre de deux mondes. « Il avait fait le tour de ses amis pour récupérer les volumes », se souvient Monique Garnon, la responsable des achats qui a organisé l’arrivée du bio. «   Il avait de magnifiques cœurs-de-bœuf, mais ça ne nous allait pas », poursuit-elle, désolée. L’établissement est soumis aux contraintes techniques des grandes cuisines : les tomates doivent être calibrées pour entrer dans les machines qui les découpent.

« Au début, c’est un vrai casse-tête », avoue Monique Garnon derrière ses lunettes biseautées. Pour elle, tout a commencé lors d’un congrès sur la restauration en 2009. Elle découvre alors la loi « État exemplaire », née du Grenelle de l’environnement, qui demande aux établissements de la restauration collective d’introduire 20 % de produits biologiques dans leurs achats. Monique Garnon n’est pas une adepte du bio mais une intendante consciencieuse. « On nous aurait demandé des produits du terroir, j’aurais fait pareil. » Plutôt que d’attendre d’être contrainte à changer, elle décide d’anticiper. « Si c’est possible, on y va », lui dit la direction. Pour essayer à petite échelle, la responsable se tourne vers l’association de producteurs locaux Manger bio Champagne-Ardenne (MBCA), qui fait de tout : viande, fruits, légumes. Afin d’éviter de bouleverser l’organisation des cuisines, le choix se porte vers des produits simples qui ne demandent pas de travail de transformation, comme les yaourts et les fruits. Mais l’introduction de ces produits a un impact sur l’organisation. Franck Dillmann, responsable des approvisionnements, explique : « Les DLC [date limite de consommation] ne sont pas les mêmes ; on est à 4 mois pour la betterave conventionnelle contre 5 jours pour les bio. » Il a fallu réorganiser les livraisons, et les équipes doivent même parfois faire sans. « Les producteurs sont tributaires de la météo », poursuit Franck Dillmann. Contrairement aux grandes enseignes, les volumes, le calibrage, la régularité sont des défis de taille pour les producteurs locaux. Sans compter les contraintes sanitaires strictes, dont ils ne sont pas familiers. Impossible pour l’instant d’introduire des pommes de terre bio, par exemple. L’hôpital exige qu’elles soient blanchies, mais la productrice, Martine Guillet, qui doit déjà les faire éplucher, n’arrive pas à trouver une solution rentable. « Je passe par un sous-traitant dont je dois payer la certification bio   », explique-t-elle. Il serait plus intéressant pour elle de posséder un atelier, mais les clients ne sont pas assez réguliers pour tenter l’investissement. L’absence de matériel adapté est aussi un obstacle : « On est certifiés ISO 22000, rappelle Franck Dillmann, on a déjà refusé des livraisons qui n’étaient pas à la bonne température. »

À l’hôpital, on a bien conscience des investissements induits pour les producteurs locaux. « Chacun doit progresser », indique Catherine Diallo, ingénieure blanchisserie-restauration. Afin de mieux se comprendre, les producteurs et le personnel hospitalier organisent des rencontres. Venue dans les cuisines, Martine Guillet, productrice de légumes de plein champ, est ahurie : « Ce n’est pas de la cuisine mais de l’assemblage ! » «   Nous sommes moins des cuisiniers que des semi-industriels », reconnaît Bruno Chalenton, qui a commencé dans les cuisines il y a quarante ans, jusqu’à devenir correspondant restauration. Le personnel hospitalier s’est également rendu dans les exploitations. «   C’est un dialogue continu entre deux univers presque opposés », résume Catherine Diallo. Malgré les difficultés, la démarche est appréciée en cuisine. Dominique Martin, responsable de production, se souvient du plaisir des cuisiniers à travailler un poulet bio – une expérience tentée pour le restaurant du personnel mais non renouvelée, car trop coûteuse. « Le bio est deux fois, sinon trois ou quatre fois, plus cher », s’exclame Monique Garnon. Et c’est là une difficulté majeure. À raison de 5 euros par jour et par patient, le budget consacré aux repas est restreint. Après la période d’essai, pour lancer un premier appel d’offres en bio en 2012, un financement spécifique était nécessaire et a été accordé par la direction. Avec 200 000 euros, soit près de 5 % du budget global de l’alimentation, les cantines de l’hôpital reçoivent ponctuellement des pommes, des poires, des carottes ou encore du pain et des pâtes, mais également des compotes et des yaourts.

Depuis, les appels d’offres sont renouvelés chaque année, et Monique Garnon a même étendu leur durée pour que les petits producteurs puissent avoir du recul. « Sans cela, il leur est difficile de répondre à temps », précise-t-elle. Mais de grandes enseignes en ont récemment remporté certains. Danone a ainsi détrôné cette année un producteur ardéchois avec sa marque Les deux vaches. « On n’a pas compris leur décision   », avoue Martine Guillet, membre de longue date de MBCA. Pour le producteur de laitages de l’association, c’est un marché de 200 000 yaourts qui s’envole : « Pour parvenir à produire en quantité, il avait recruté, aujourd’hui, il réduit ses effectifs. » L’hôpital s’en désole tout autant : « Le code des marchés ne permet pas de choisir sur la localité, et mon budget me contraint à choisir sur le rapport qualité/prix », argumente Monique Garnon. Selon les annonces ministérielles, le code des marchés devrait évoluer en 2016 pour prendre en compte la provenance géographique des produits. À Reims, on attend ce renouvellement avec impatience. Mais Martine Guillet n’est pas convaincue : « Et le goût ? C’est un critère. De même que le développement durable. On nous fait remplir quantité de documents pour le bilan carbone, à quoi ça sert ? »

Catherine Diallo rappelle toutefois que l’hôpital se soucie du développement durable : « Nous avons engagé 21 actions dans ce sens.  » Comme l’abandon de l’eau de Javel, remplacée par du vinaigre blanc dans les blanchisseries, et la récupération des déchets organiques, méthanisés pour chauffer les locaux. « On travaille beaucoup sur notre bilan carbone   », ajoute-t-elle pour justifier la persévérance de l’équipe en faveur du bio, malgré les obstacles et l’absence d’aide incitative. Pour Monique Garnon, l’essentiel est de conserver un dialogue constant avec les producteurs locaux et de travailler avec eux en amont des appels d’offres. Même si aucune augmentation n’est prévue, une chose est sûre selon la responsable des achats : « On ne peut plus faire machine arrière, les patients nous réclameraient les produits bio. »

Écologie
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