Le tour du monde en soixante-quatre minutes

Chaque jour, TV5 Monde fournit un JT remarquable, aux dimensions internationales. Nous avons passé une journée avec l’équipe. Coulisses.

Jean-Claude Renard  • 10 juin 2015 abonné·es
Le tour du monde en soixante-quatre minutes
© Photo : TV5MONDE

Dix-huit heures, ce mardi 2 juin. Mohamed Kaci égrène le sommaire du journal. La mort de Jacques Parizeau, ancien Premier ministre québécois. Daech : à Paris, conférence sur la situation en Irak et en Syrie. Décryptage en plateau avec Fouad Khoury-Helou, qui publie l’Amérique et le Moyen-Orient. « Nous sommes ensemble pour 64 minutes d’actualités », prévient le journaliste, avant d’enchaîner sur les titres : « Migrants, le démantèlement d’un camp à Paris et état des lieux à Calais », « Un naufrage tragique en Chine », « Le point au Burundi ». Le premier sujet dure 1 minute et 32 secondes ; le suivant 1 minute et 55 secondes. Mohamed Kaci rapporte brièvement l’hospitalisation d’Helmut Kohl, puis relate la visite officielle de Michel Kafando, président du Burkina Faso, à Paris, les joutes verbales entre le président turc Erdogan et l’opposition, un scandale de corruption au sein de la Fifa. Parenthèse ultime, le dernier rhinocéros blanc, au Kenya, avant l’intervention en plateau de Francis Kpatinde, journaliste spécialiste de l’Afrique.

Mécanique bien huilée. À vrai dire, Mohamed Kaci planche depuis huit heures sur la présentation de son JT, le « 64’ », sur TV5 Monde. Un journal créé en octobre 2013, de 64 minutes, donc (excusez du peu), sur la seule chaîne francophone internationale, proposant ainsi son propre regard (pas celui du Quai d’Orsay), et vu par 260 millions de foyers. À 10 h 30, conférence de rédaction. Ils sont une dizaine autour de la table. Responsable du Web, chef d’édition, journalistes et Mohamed Kaci, le présentateur, sous la houlette de Laurent Lejop, rédacteur en chef (le vendredi et le week-end, Xavier Lambrechts à la présentation et Thierry Bouvard à la rédaction en chef prennent le relais). Chaque édition s’appuie sur deux invités, celui du « Fait du jour » et celui du « Grand angle », le premier pour un entretien de quatre à cinq minutes, le second pour quatorze minutes d’antenne (excusez du peu, encore une fois). Autour d’eux se déploie l’ensemble du JT, entre reportages et brèves (les « off », c’est-à-dire une image commentée en plateau), une case culture de cinq minutes, une page économie de trois minutes (enregistrée dans l’après-midi), un zapping « Vu d’ici, vues d’ailleurs » et un grand entretien de huit minutes mené par Patrick Simonin (également enregistré plus tôt). Il s’agit d’alterner les rythmes.

Selon les infos parvenues dans la nuit et au matin, on s’interroge alors sur un duplex à Montréal à l’occasion de la mort de Jacques Parizeau, une brève sur le nouveau scandale de la Fifa, l’intérêt du dernier rhinocéros blanc, la condamnation de Mohamed Morsi… Sitôt la conf’ terminée, s’organise le conducteur. Il s’agit principalement de piocher dans Eurovision News Network, une bourse d’images, chez Reuters, voire à l’AFP, de puiser aussi chez les partenaires (France Télévisions, la RTBF, la RTS et Radio Canada). Lucie Monier-Reyes, chef d’édition, vigie et tour de contrôle, veille au grain. Laurent Lejop a déjà réparti les sujets. À 12 heures, Mohamed Kaci connaît les titres principaux. Une heure plus tard, il revoit avec Laurent Lejop la teneur des entretiens avec les invités. Il écrit ses textes de présentation « en tentant d’y mettre du liant ». Nouvelle conférence de rédaction à 14 h 30, une « conf de lissage » plus réduite en nombre. Toujours sous la direction de Lejop, reprenant le conducteur destiné à l’antenne. On discute sur les termes à employer, on précise ses mots (ainsi, entre réfugiés, migrants et demandeurs d’asile). Où l’on observe « l’esprit multilatéral de ce JT, une pensée extraterritoriale », selon Laurent Lejop, la question des migrants étant abordée du côté des migrants plutôt que du côté des frontières européennes. Marque de fabrique du « 64’ », « désinstitutionnalisant la francophonie ». À 15 heures, on ajuste la hiérarchie des titres, on ajoute une info sur l’hospitalisation d’Helmut Kohl (pendant qu’un rédacteur se lance dans une nécro), tandis que se calent les images en salle de montage. Un travail d’équilibristes. Au fil du temps qui rapproche du direct, l’atmosphère se détend. On ironise sur la une de Libé avec Thomas Thévenoud. « Pourquoi pas l’inviter le 9 juin, date limite pour la déclaration des impôts ? » … 

17 h 30. Dernier réglage en régie. À 17 h 53, Mohamed Kaci répète le lancement du sommaire. Ça plaisante encore entre la régie et l’oreillette. 18 heures, c’est parti. Moments de tension, de concentration, seconde après seconde. Jusqu’à 18 h 51, quand tombe la démission de Sepp Blatter. Branle-bas en régie. Il reste à peine une dizaine de minutes, tout est calé. Il faudra bien que ça entre au chausse-pied. Laurent Lejop appelle Michel Cerutti, correspond suisse, pour une brève analyse d’une minute improvisée. L’exercice de funambule ponctue le journal heureusement. 19 h 05 : Laurent Lejop débriefe devant son équipe, séquence après séquence, sans ménager les satisfactions. Mohamed Kaci peut sourire en coin. Quelque part au Cap, en Afrique du Sud, Breyten Breytenbach le regarde tous les jours. C’est ce que lui confiait en plateau l’écrivain, ancien résistant anti-apartheid, converti à la langue française. Parole de poète.

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