Les frondeurs dos au mur

Chacun fera comme il voudra, mais il sera difficile après Poitiers de faire encore semblant de croire à un possible changement d’orientation.

Denis Sieffert  • 10 juin 2015 abonné·es

Le rideau est donc tombé sur le pauvre théâtre d’ombres de Poitiers. On pourrait s’en tenir à ce simple constat. Mais, paradoxalement, ce fantomatique congrès du Parti socialiste devrait, a posteriori, avoir une certaine importance. Il marque pour les opposants la fin des illusions, ou des naïvetés. Du moins faut-il l’espérer. Foin désormais des calculs trop savants. Il n’aura échappé à personne en effet que les quelques événements qui méritent de retenir notre attention sont intervenus hors du congrès. En publiant sa diatribe [^2], dimanche dans le JDD, Arnaud Montebourg a, par exemple, joyeusement pourri l’opération « motus et bouche cousue » savamment orchestrée par le tandem Valls-Cambadélis.

On peut d’ailleurs se demander si l’ancien ministre du Redressement productif, en signifiant, l’air de rien, qu’on est plus audible dehors que dedans, n’a pas délivré un message qui le dépasse. Arnaud Montebourg, personnage brillant et souvent stimulant, s’est fait une réputation peu flatteuse d’inconséquence. Il a l’image d’un velléitaire que son vrai-faux retrait de la politique n’a fait que renforcer. Or, il ne suffit plus aujourd’hui de critiquer Manuel Valls, ni de dresser le constat d’échec de la politique d’austérité. Il faut se donner les moyens de proposer à nos concitoyens autre chose. « Passer de l’arme de la critique à la critique des armes », comme disait joliment un philosophe barbu du XIXe siècle. Autrement dit, construire une alternative. Le frondeur Pouria Amirshahi, par exemple, ou l’ex-député européen Liêm Hoang-Ngoc ont apporté eux aussi leur pierre à l’édifice de l’extérieur (voir l’article de Pauline Graulle, p. 6). Le premier en invitant à « un dialogue sincère et fécond avec les gauches » en vue de former « un grand mouvement citoyen d’un type nouveau ». Le second en souhaitant que l’on pose « les fondations d’une coalition avec les écologistes de conviction et le Front de gauche ». « Plutôt Syriza que Marceau Pivert », a-t-il résumé, surestimant peut-être la culture politique de ses petits camarades… Mais ceux qui connaissent auront compris le message. Pivert avait cru en son temps à la transformation de la SFIO en parti révolutionnaire… Il avait évidemment échoué, avant d’être viré. Certes, la référence ne date pas d’hier. C’était les années 1935-1938. Tout a changé. Sauf la nature humaine. Il y a toujours les hésitants, les prudents à l’extrême, les audacieux, les hâbleurs, les opportunistes. Ceux qui pensent surtout à sauver leur siège, et ceux qui chargent sabre au clair. Les costumes ont changé, mais la comédie politique distribue les mêmes emplois. Chacun fera comme il voudra, mais il sera difficile après Poitiers de faire encore semblant de croire à un possible changement d’orientation. Si le congrès était faux, la vérité, elle, n’a pas tardé à revenir au galop.

Dès le lendemain, la loi Macron était de retour à l’Assemblée. Encore un peu plus libérale. Un peu plus antisociale. Avec menace de 49-3. Au passage, il est intéressant d’observer le rôle que l’on fait jouer au ministre de l’Économie. Voilà un homme qui n’est pas membre du Parti socialiste, mais qui est en réalité le ministre le plus important d’un gouvernement dirigé par le PS. C’est un « socialiste zombie », comme dirait Emmanuel Todd. Il ne croit pas, il ne pratique pas, mais il se réclame d’une vague généalogie de gauche qui ne correspond plus à aucune réalité. Il ne ment pas ; on ment pour lui. Il est ce que Manuel Valls rêve de devenir, lui qui est encore obligé de se coltiner un congrès socialiste entre un Barça-Juventus et une finale de Roland-Garros. Un dernier congrès avant liquidation. Tout de même, si l’on veut bien fouiller, il s’est passé quelque chose à Poitiers. À juste titre, Michel Soudais a réservé un sort particulier sur notre site Politis.fr à l’intervention d’Emmanuel Maurel. Le conseiller régional a été à peu près le seul à avoir bataillé ferme pour que le congrès affirme haut et fort sa solidarité avec Syriza. En vain. Que dire d’un parti incapable d’exprimer la moindre empathie pour le peuple grec ? Pire que cela : George Papandréou, ancienne figure de proue du Pasok, le parti socialiste grec, était l’invité d’honneur d’un dîner à la mairie de Poitiers, samedi soir. Tenu pour l’un des responsables de la crise grecque, il n’a obtenu que 2,6 % avec sa nouvelle formation, le Kinima, en janvier dernier.

Là où la question grecque aurait dû être au centre des débats, elle n’a été que peu évoquée. Et les caciques du parti ont nettement penché du côté des institutions financières… Quel symbole malheureux ! Ce qui fait que les frondeurs et tous ceux qui n’adhèrent pas à la politique d’austérité sont maintenant dos au mur. Ils ne peuvent attendre davantage. Mais il serait injuste de leur faire porter tout le poids des responsabilités. Pour qu’ils puissent faire mouvement, il faut aussi que les mains se tendent du côté de l’autre gauche, du Front de gauche, des écologistes, de Nouvelle Donne… Entre les uns et les autres, les différences sont parfois importantes. Mais il y a urgence à les dépasser pour créer quelque chose comme un front anti-austérité. Urgence, car contrairement à ce qu’écrivent Montebourg et Pigasse, la question n’est pas principalement de « sauver le quinquennat ». Elle est de sauver la gauche.

[^2]: Tribune cosignée par Matthieu Pigasse dans le JDD du 7 juin.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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