Malraux : De l’écrivain aventurier au militant anticolonial
Raoul Marc Jennar raconte la période indochinoise de l’auteur de la Condition humaine.
dans l’hebdo N° 1358 Acheter ce numéro
Nos lecteurs connaissent Raoul Marc Jennar pour ses analyses très pointues des traités de libre-échange. Ils connaissent peut-être moins le spécialiste de la civilisation khmère et le passionné d’Asie. C’est cet autre personnage qui nous propose ces jours-ci un livre inattendu consacré à André Malraux. Pas le gaulliste, pas même l’orateur flamboyant de l’hommage à Jean Moulin, non, le jeune Malraux, celui qui d’octobre 1923 à décembre 1925 séjourne en Indochine. Cet esthète ambitieux et déjà ruiné qui parcourt la jungle à la recherche de temples khmers à peine répertoriés. L’aventurier érudit commet quelques larcins de bas-reliefs qui lui vaudront condamnation et assignation à résidence. L’impudent qui justifie son coupable commerce en répliquant à Clara, son épouse : « Vous ne croyez tout de même pas que je vais travailler. »
Si les splendeurs d’Angkor constituent la majestueuse toile de fond du livre de Jennar, le sujet principal, c’est l’éveil d’une conscience politique. Comment en deux années, le jeune Malraux, indifférent aux tourments du monde, pilleur d’art khmer, va se transformer en militant. Jennar nous raconte l’histoire de la découverte du fait colonial par ce jeune dandy. La métamorphose commence précisément durant ces sept mois où Malraux est retenu à Phnom Penh dans l’attente de son jugement. Ce séjour forcé, nous dit Jennar, *« offre à Malraux l’occasion de mieux connaître le système colonial, avec ses ségrégations, ses discriminations ». * C’est le temps des rencontres.
Avec un professeur d’histoire, Bernard Bourotte, son mentor en politique. Avec Xà, un Annamite, qui lui ouvre les portes de la société indigène, et qui deviendra l’un des héros de la Condition humaine. De retour en France, il confie à Clara : « Les Annamites ont besoin d’un journal. » Un mois plus tard, il part pour Hanoï. Cette fois, sa route croise naturellement celle des nationalistes, notamment Nguyen An Ninh, « jeune et tout chargé de promesses », admirateur de Jaurès et ami de Léon Werth. Le 17 juin 1925, Malraux et l’avocat Paul Monin créent l’Indochine. Un journal qualifié d’anti-français. Le gouverneur de la Cochinchine, Maurice Cognacq, n’a-t-il pas déclaré qu’il « ne faut pas d’intellectuels dans ce pays » ? C’est l’époque où il est interdit de traduire Rousseau et Montesquieu en quôc ngù, la langue vietnamienne romanisée.
L’Indochine, confronté à toutes les tracasseries, ne tiendra que le temps de 49 numéros. L’Indochine enchaînée, qui lui succédera, tiendra quatre mois, jusqu’en février 1926. Jennar publie, en fin d’ouvrage, les éditoriaux de Malraux. Le jeune inconscient est devenu un authentique militant anticolonial. La suite est une autre histoire.